Le paritarisme malade de l’État ?

InFO militante par Thierry Bouvines, L’inFO militante

Les participants à un colloque sur le paritarisme organisé le 15 juin à Paris par le groupe Alpha auquel Frédéric Souillot, le secrétaire général de FO, était invité, sont tombés d’accord pour dire que la principale menace qui pèse sur le paritarisme est l’État. Face à ses interventions de plus en plus insistantes, quelle place pour la négociation ? Quelle gestion des organismes sociaux ?

Les oreilles de « l’État » ont dû siffler…La table ronde organisée le 15 juin par la société de conseil Alpha avait pour thème le paritarisme, mais c’est bien l’État qui fut au centre de la discussion, à laquelle participait le secrétaire général de la Confédération, Frédéric Souillot. FO et toutes les organisations syndicales veulent faire vivre le paritarisme. Mais de souligner immédiatement les difficultés avec un exemple. Demain s’organise la convention quinquennale d’Action logement, et il faudra se battre pour que l’État ne mette pas la main dessus, a-t-il lancé d’emblée.

Les deux autres « paritaires » de la table ronde, Alexandre Saubot, président de France Industrie et ancien président de l’Unedic, et Brigitte Pisa, présidente du conseil d’administration de l’Agirc-Arrco, ne se sont pas montrés plus tendres pour qualifier les immiscions de l’État. Qu’il s’agisse du paritarisme de négociation (dont le résultat alimente le code du travail) ou du paritarisme de gestion (qui relève de la protection sociale).

Sur le papier, le paritarisme de négociation ne se porte pourtant pas mal. Il y a un an, les syndicats (dont FO) et les organisations patronales affirmaient les ambitions du paritarisme dans un accord national interprofessionnel (ANI) dédié dans un « agenda social autonome », arrêté début 2021. L’agenda social autonome dit au gouvernement que les partenaires sociaux discutent de ce qu’ils veulent en vue d’une transposition dans la loi, analyse Frédéric Souillot.

La question de la transposition

Cette autonomie reste toutefois relative. L’article L1 du Code du travail prévoit une concertation préalable des organisations syndicales et patronales avant toute réforme sociale. Le gouvernement leur communique un « document d’orientation ». Il a aussi la possibilité de déroger à la concertation en cas d’urgence. La loi sur les retraites a été illustrative d’une certaine façon de concevoir la concertation par l’exécutif qu’ont dénoncé toutes les organisations syndicales. Le gouvernement a augmenté l’âge légal de départ à la retraite, et après seulement il nous a parlé de l’emploi des seniors. Bien sûr, nous allons discuter de l’emploi des seniors, mais il aurait fallu prendre les choses par l’autre bout, regrette Frédéric Souillot.

D’autre part, pour avoir force de loi, un ANI doit être transposé. Lorsque le gouvernement nous a proposé de négocier sur le partage de la valeur, nous avons dit à l’exécutif que, s’il y avait accord, il devrait être transposé strictement, rappelle Frédéric Souillot. Le projet de loi du gouvernement s’est à peu près tenu à cette ligne. Mais la vigilance reste de mise. L’ANI précise que le salaire reste la base de la rémunération, or les politiques ont du mal à transposer cela dans la loi, au prétexte que c’est déjà inscrit dans le Code du travail, illustre le secrétaire général de FO.

Comment s’assurer qu’un accord national fera l’objet d’une transposition stricte ? Lorsque l’accord est suffisamment fort, les parlementaires devraient suivre, avance Alexandre Saubot. Avec huit organisations à la négociation, il est compliqué de parvenir à un accord fort, objecte Pierre Ferracci, président du Groupe Alpha. Il n’est évidemment pas question de demander aux parlementaires de se dessaisir a priori de leur droit d’amendement, mais il faudrait que l’exécutif respecte le Parlement, relève pour sa part Frédéric Souillot.

Frédéric Souillot : Il revient au gouvernement de démonter les ordonnances

Au-delà des pratiques actuelles de l’exécutif, le secrétaire général de FO estime que les difficultés du paritarisme de négociation tiennent entre autres à des causes structurelles. Depuis la mise en place du quinquennat, les politiques sont en permanence en élection ; nous n’avons pas le même tempo.

Mais l’État n’est pas le seul caillou dans la négociation. Pierre Ferracci dénonce ainsi la « position rigide » du Medef sur les ordonnances travail de 2017. Comment peut-on affirmer que les ordonnances ont amélioré le dialogue social en entreprise alors que tous les syndicats et une partie des DRH disent l’inverse ?, s’interroge-t-il. Sans une convergence de points de vue entre les syndicats et le patronat, une réforme négociée de ces ordonnances sera compliquée. Frédéric Souillot en tire la conséquence : Il revient au gouvernement de démonter les ordonnances puisque c’est lui qui les a créées.

Organisée par l’exécutif, la présence pesante de l’État

La situation du paritarisme de gestion traduit elle aussi beaucoup de difficultés. Le colloque se tenait dans le grand amphithéâtre de la Maison de l’Océan à Paris, sur le mur duquel est peinte une scène de chasse à la baleine. Julien Damon, professeur associé à Sciences Po, y a vu pour sa part une image de l’État harponnant les excédents des organismes paritaires. Quand un organisme est excédentaire, l’État s’y intéresse pour réduire sa dette, a confirmé Frédéric Souillot.

Derrière l’utilisation du mot « État », étaient pointés par chacun des participants les choix de l’exécutif et ses méthodes. Ainsi, l’année dernière, l’État a tenté de récupérer la cagnotte de l’Agirc-Arrco, a rappelé Brigitte Pisa. L’État affirme que si l’Agirc-Arrco est excédentaire, c’est grâce à ses réformes, donc il s’estime fondé à prendre les excédents, expliquait de son côté Alexandre Saubot. L’ancien président de l’Unedic rappelait lui cette négociation de la convention Unedic qui avait abouti à réaliser un milliard d’euros d’économies. Après quoi, l’État a demandé de nouveau des économies. Ce n’est vraiment pas possible ! Quand l’État entre quelque part, il faut en sortir, car on ne peut pas discuter avec lui, a conclu Brigitte Pisa. Le paritarisme a été érigé en totem depuis 1945 et a été peu révisé, observait pour sa part le sociologue Julien Damon, proposant de distinguer entre les risques universels, dont la couverture incombe à l’État (en tant qu’autorité, Ndlr), et les risques professionnels, qui relèvent des partenaires sociaux.

Thierry Bouvines

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération