Les salariés d’entreprises sous-traitantes sont-ils davantage susceptibles de subir un accident du travail ? C’est la question que s’est posée la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), administration qui dépend du ministère du Travail. Un sujet loin d’être anecdotique car, en 2019, pas moins de 27% des salariés français travaillaient dans un de ces établissements dits preneurs d’ordres
, qui produisent des biens ou des services conçus par une entreprise donneuse d’ordres
. Le verdict de l’étude est sans appel
, souligne Eric Gautron, secrétaire confédéral en charge de la protection sociale collective. Les salariés des entreprises sous-traitantes sont effectivement plus exposés aux risques, et ont donc statistiquement plus d’accidents du travail.
Le secteur de la construction est le plus concerné par le phénomène de sous-traitance, suivi par les transports et les entreprises de l’information et de la communication. L’étude de la Dares porte ainsi sur 8 100 établissements appartenant au secteur marchand et associatif hors agriculture, dont 4 100 à majorité d’employés et d’ouvriers. Les personnes travaillant dans la construction et/ou en tant qu’ouvriers ou employés ont, en règle générale, davantage de risques d’être exposés à des accidents du travail. Mais même en contrôlant l’impact des ces facteurs – ainsi que d’autres caractéristiques comme l’âge ou le sexe des salariés –, la sous-traitance demeure intrinsèquement associée à un taux élevé d’accidents du travail
, pointe le rapport de la Dares.
Trois décès par jour liés au travail
Au sein des entreprises sous-traitantes dont moins de 50% du chiffre d’affaires est attribuable aux donneurs d’ordres, davantage d’accidents du travail sont donc déclarés. Au-dessus de 50%, cette tendance a heureusement tendance à diminuer. La Dares avance l’explication d’une situation de quasi-intégration organisationnelle, qui leur permet aussi de mieux maîtriser la prévention contre les risques physiques et chimiques que les sous-traitants moins intégrés
.
L’étude donne du poids à cette problématique
, suivie depuis longtemps par FO, se réjouit Eric Gautron. Le secrétaire confédéral rappelle que les accidents du travail sont particulièrement meurtriers en France : En 2019, 656 000 accidents du travail ont été recensés, dont 733 ayant entraîné la mort, soit deux morts par jour. Et si on compte les accidents de trajet qui font 283 morts par an, et les 175 décès liés aux maladies professionnelles, on arrive à trois morts par jour.
Externalisation des tâches les plus dangereuses
La Dares avance plusieurs raisons qui expliquent que les salariés des entreprises preneuses d’ordres soient davantage exposés à ces risques. En premier lieu, les donneurs d’ordres choisissent parfois d’externaliser les travaux les plus dangereux, notamment pour ne pas avoir à subir les coûts associés à la réparation des accidents du travail ou des maladies professionnelles
, explique la Direction. Finalement, en sous-traitant des emplois, ces entreprises sous-traitent aussi leurs risques, assène Eric Gautron. C’est comme si un employeur fuyait la pénibilité, et de l’autre côté, son sous-traitant se spécialise dans cette pénibilité, dans ces risques, et porte toute la responsabilité de ceux-ci.
Autre cause expliquant le sur-risque auquel sont exposés les salariés des sous-traitants : la pression de la dépendance économique vis-à-vis des donneurs d’ordres, qui peut conduire à une intensification du travail voire à un moindre investissement dans la prévention des risques. La surexposition des intérimaires aux accidents peut également être reliée à un manque d’expérience ou un manque de formation au poste qu’ils occupent. On voit bien qu’il y a un problème de formation derrière tout cela, acquiesce Eric Gautron. Les responsabilités sont partagées entre le sous-traitant, censé avoir formé son salarié en fonction du poste où il l’envoie, et l’entreprise qui accueille, qui doit faire en sorte de bien donner les consignes de sécurité.
En travaillant avec des intérimaires, les salariés en propre eux aussi surexposés
Un problème collatéral conséquent est par ailleurs identifié dans l’étude de la Dares : dans les entreprises accueillant des intérimaires, particulièrement celles où ces salariés représentent 4 à 10% de l’effectif, les salariés employés en propre (non intérimaires) sont eux aussi davantage exposés aux accidents de travail par rapport aux entreprises n’employant pas d’intérimaires. Un nivellement vers le bas alarmant pour Eric Gautron : C’est un phénomène de double-peine : avec le mélange des deux types de salariés, les non intérimaires pâtissent eux aussi de cette sous-traitance.
Le secrétaire confédéral rappelle à ce propos une revendication phare de FO : le retour des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), absorbés en 2020 au sein du Comité social et économique (CSE). Avec le recul, on voit bien que leur disparition pénalise la santé des salariés.
Dans la situation des salariés d’entreprises sous-traitantes, Eric Gautron voit un miroir de nombreux problèmes du marché du travail actuel : externalisation, mauvaise gestion des risques, fuite des responsabilités… Et sous-déclaration : car les intérimaires sont parmi les travailleurs qui renoncent le plus à déclarer leurs accidents de travail, notamment du fait de l’insécurité socio-économique qui caractérise leur position. Lorsqu’une entreprise ne déclare pas un accident du travail, rappelle le secrétaire confédéral, ça signifie que la personne blessée va être prise en charge par l’Assurance maladie classique, sur la base de nos cotisations à tous. Alors que si elle est prise en charge par la branche des accidents du travail et maladies professionnelles, c’est entièrement financé par les cotisations des employeurs.
FO est d’ailleurs impliqué dans les négociations pour un nouvel accord interprofessionnel avec le patronat, dans l’optique d’une meilleure prévention et d’une meilleure réparation de ces accidents, tous types de contrat confondus.