Ce jeudi 23 mars, l’intersyndicale appelle à une neuvième grande journée nationale interprofessionnelle de grèves et de manifestations contre la réforme des retraites. Mais les actions, que ce soit sous forme de grèves, de manifestations, de rassemblements ou de blocages, n’ont en réalité pas cessé dans toute la France depuis le 7 mars, date à laquelle plus de trois millions de manifestants ont défilé dans quelque trois cents cortèges pour montrer leur opposition au passage en force du gouvernement.
Le 15 mars, date de la huitième journée nationale de mobilisation, plus d’un million et demi de manifestants sont encore descendus dans la rue à l’appel des confédérations syndicales et des organisations de jeunesse.
L’annonce du recours au 49.3 par la Première ministre le 16 mars n’a fait que renforcer la détermination de tous contre cette réforme imposée par l’exécutif contre l’immense majorité de la population. Sans attendre le 23 mars, les organisations syndicales ont appelé les salariés et les agents à poursuivre la mobilisation et à participer aux rassemblements syndicaux de proximité organisés le week-end des 18 et 19 mars.
Dans tous les secteurs, la colère s’exprime
Les secteurs professionnels affichent une mobilisation déterminée, à l’instar des éboueurs, des transports – qu’ils soient routiers, urbains, aériens ou ferroviaires – ou encore de l’énergie (électriciens-gaziers, raffineries…). Mais, plus largement, la colère est partout. À titre d’exemple, à Calais les officiers du port se sont mis en grève le 17 mars, bloquant le port toute la journée. Le lendemain, samedi 18 mars, à Grenoble, FO a organisé une distribution de tracts et des discussions avec la population pour préparer la journée du 23. À Sablé-sur-Sarthe les manifestants ont bloqué le rond-point situé devant le siège des abattoirs LDC. À Gap, ce même jour, un rond-point près de la gare était bloqué tandis que les agents d’Enedis reconduisaient le blocage du centre technique.
La mobilisation se poursuivait avec détermination lundi 20 mars. À Tarbes, dans les Hautes-Pyrénées, le blocage de l’aéroport dans la matinée a été suivi par celui de la préfecture. À Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme, plus de 600 personnes se sont rassemblées devant la préfecture. À Paris, plusieurs centaines de retraités, rassemblés à l’appel d’une intersyndicale, ont été rejoints par des travailleurs en grève.
Dans l’Éducation nationale aussi, FO et les autres organisations syndicales ont appelé les personnels des collèges et lycées à prolonger les actions les 20 et 21 mars, dates coïncidant avec le démarrage des épreuves du bac.
Au Parlement, le passage en force du 49.3 après un examen législatif tronqué
A doptée sans débat ! Après le rejet lundi 20 mars des deux motions de censure déposées en réaction au choix de la Première ministre, Élisabeth Borne, d’avoir engagé le 16 mars la responsabilité du gouvernement pour faire passer la réforme des retraites, celle-ci est considérée définitivement adoptée sans débat par le Parlement. Le verdict final est tombé vers 19h30, aucune motion n’ayant atteint les 287 votes nécessaires à leur adoption, laquelle aurait entraîné la démission du gouvernement et l’abandon de sa réforme. Il s’en est fallu de peu : la motion transpartisane a été rejetée à neuf voix près. Ce passage en force de l’exécutif par le recours à l’article 49.3 de la Constitution – le onzième dégainé depuis octobre – clôt un examen législatif au pas de charge, et donc tronqué, alors qu’une majorité de Français restent farouchement opposés au recul à 64 ans de l’âge légal de départ en retraite.
Un débat contraint par l’usage inédit de tout l’arsenal constitutionnel
L’exécutif en fait peu de cas : pour justifier l’usage du 49.3, contournant le vote des députés, le président de la République a invoqué des risques financiers (…) trop grands
si la réforme n’entrait pas en vigueur. Voilà l’hypothétique sanction des marchés financiers érigée en ultime argument. Les précédents, il est vrai, ont été invalidés : l’avenir financier du système des retraites qui serait menacé (ce que contredisent les prévisions du Conseil d’orientation des retraites), puis les prétentions à davantage de justice
, alors que la réforme multiplie les injustices.
En concluant par un 49.3, l’exécutif aura utilisé tout l’arsenal constitutionnel permettant de contraindre les débats parlementaires. Inédit pour une réforme des retraites, le recours à un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale lui a assuré l’application automatique de l’article 47.1 et une procédure accélérée (ordinairement prévue pour faire adopter un budget avant la fin de l’année civile) qui limite à cinquante jours l’examen global du texte, de son dépôt à l’adoption définitive : vingt jours en première lecture à l’Assemblée nationale, quinze au Sénat. L’artifice a conduit à une transmission du texte au Sénat, avant que l’Assemblée nationale n’ait débattu de l’ensemble et se soit prononcée par vote. Au Sénat, l’exécutif a déclenché le 44.2, lui permettant de s’opposer à la discussion d’amendements non soumis à la commission saisie au fond. Puis il a recouru au 44.3, contraignant la Chambre haute à se prononcer en un seul vote sur le texte, en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par lui. Il a donc terminé par le 49.3, après l’étape de la commission mixte paritaire et celle du vote au Sénat. L’usage de cet arsenal constitutionnel et le contenu du projet sont désormais soumis au Conseil constitutionnel, qui se prononcera sur leur conformité.