[Livre] En attendant les robots : ces clics qui croquent

Culture par Michel Pourcelot

Un livre sur les « petites mains » qui mâchent le travail des géants de l’informatique. Le sociologue Antonio Casilli y décrit un marché du travail en appui à l’automation et carburant à la précarité.

Les humains au service des robots... Dans son nouvel ouvrage, En attendant les Robots. Enquête sur le travail du clic (Seuil), le sociologue Antonio Casilli se penche sur le petit monde d’humains qui, dans l’obscurité de la luminescence des écrans, travaillent à alimenter l’Eldorado informatique. Spécialisé notamment dans la politique, la santé et les usages informatiques, ce chercheur, qui a déjà publié Les Liaisons numériques (Seuil, 2010) et Qu’est-ce que le digital labor ? (avec Dominique Cardon, INA, 2015), dévoile les forçats du clic, ces microtravailleurs qui multiplient les clics pour viraliser, filtrer, modérer, sinon censurer, etc. Casilli décrit aussi un marché du travail en appui à l’automation. Il s’inscrit dans le programme scientifique et industriel du machine learning : pour que les machines apprennent à reproduire le comportement humain, il faut bien que des humains les instruisent à reconnaître des images, à lire des textes ou à interpréter des commandes vocales.

Précaire, sous-payé et micro-payé

Via des plates-formes sont ainsi employés des milliers de tâcherons précaires aussi bien aux États-Unis qu’en Inde, aux Philippines, au Pakistan, au Népal, en Chine et au Bangladesh. Les principaux donneurs d’ordre étant les États-Unis, le Canada, l’Australie, la France et le Royaume-Uni, Casilli estime qu’à travers ces micro-marchés du travail réapparait un certain nombre de structures de dépendance économique à l’échelle mondiale (...) héritées de notre passé colonial. Le nombre des travailleurs concernés est loin d’être négligeable. L’auteur estime que si nous réunissons toutes les plateformes de micro-travail et de travail à la demande mondiale, nous dépassons largement les cent millions d’effectifs répertoriés. Il constate surtout la multiplication des formes atypiques de travail précaire, sous-payé et micro-payé. De plus, parallèlement, nous assistons à la constante remise en discussion des catégories héritées de la civilisation salariale du siècle dernier, et notamment du binôme constitué par une subordination formellement délimitée et une protection sociale généralisée.

 

En attendant les Robots. Enquête sur le travail du clic d’Antonio A. Casilli. Paru aux éditions du Seuil, collection La Couleur des idées, le 3 janvier 2019. 400 pages. Environ 24 €.

Michel Pourcelot Journaliste à L’inFO militante