Logement social en crise : vite une politique d’investissements massifs !

Les Dossiers de l’InFO militante par Valérie Forgeront, Clarisse Josselin, Elie Hiesse, L’inFO militante

À quand une politique renforcée en matière de logement social, pour en finir avec la pénurie qui pèse sur les plus modestes ? Fin 2022, quelque 2,4 millions de ménages attendaient un logement social et la demande se fait toujours plus forte, exacerbée par l’inflation toujours haute qui rogne les moyens des plus fragiles. Or, les offres du parc social ne suivent pas. Pour de multiples raisons. La loi SRU de 2000 est allègrement bafouée, les aides financières publiques à la pierre ont diminué, la hausse des taux d’intérêt a fait flamber les coûts de construction. Le coût de la réduction de loyer de solidarité, mesure décidée par l’exécutif en 2018, en même temps que la diminution des APL, pèse sur les bailleurs sociaux. La loi Pacte a elle réduit en 2020 le nombre d’entreprises cotisant à Action Logement, organisme paritaire qui a subi aussi des ponctions ces dernières années… Du côté des détenteurs d’un livret A, depuis 2021 l’inflation rime aussi avec une perte sévère de rémunération de ce livret d’épargne qui finance le logement social via des prêts aux bailleurs. Le gouvernement, visant à contenir pour les bailleurs le coût des emprunts, aux taux liés à celui du livret A, a bloqué à 3 % le taux de celui-ci depuis août et jusqu’en janvier 2025. Pour les ménages modestes, entre un livret A au rendement amoindri et le manque toujours plus criant de logements sociaux, cela ressemble à une double peine. Laquelle a à voir avec la politique nationale sur le logement social, chaotique et aux moyens notoirement insuffisants.

Alarme sur une dégradation incessante

U n logement social en crise, ou encore une bombe sociale à retardement, peut-on lire régulièrement dans la presse ou dans les multiples rapports alertant de la situation. La réalité derrière ces mots ? D’abord, le nombre de personnes pauvres a augmenté de 1,5 million en vingt ans. 14,5 % des Français (9,1 millions) vivaient sous le seuil de pauvreté monétaire (1 158 euros par mois) en 2021 selon l’Insee. Le nombre de personnes sans domicile a augmenté de 330 000 en 2022. Quinze millions de personnes seraient impactées en France, de multiples façons, par la crise du logement. Un logement, ou dépense contrainte, qui pèse de plus en plus sur le budget des ménages : 9,5 % en 1960… 23 % en moyenne aujourd’hui. C’est devenu le premier poste de dépense, rappelle l’ONG Oxfam-France dans un récent rapport. Pour les plus modestes, la dépense occupe même 32 % du budget. Autre paramètre de poids : Les prix de l’immobilier ont augmenté de 125,6 % entre 2001 et 2020. Les loyers – social et secteur libre – quant à eux ont augmenté de 36,5 % sur la même période. Or, dans le même temps, les revenus brut des ménages n’ont progressé que de 29 %. Autrement dit, en vingt ans les prix des biens immobiliers ont augmenté quatre fois plus vite que les revenus !, rappelle encore cette étude. Cela explique pourquoi un Français sur deux habite ou a habité dans un logement social. Chiffres que rappelle l’Union sociale pour l’habitat, qui fustige le désengagement progressif de la puissance publique ces dernières décennies, ce qui laisse une plus grande place à des acteurs financiarisés et à une quête de rentabilité à tout prixau détriment d’une offre abordable pour les plus précaires.

Dix ans d’attente en Île-de-France…

L’Oxfam pointe lui aussi, comme nombre d’acteurs du logement, ce  désengagement progressif de l’État. Ainsi, La production de logements sociaux a diminué au plan national avec 126 000 logements sociaux financés en 2016, 95 000 en 2021, puis 96 000 en 2022. Et probablement à peine 90 000 d’ici la fin de l’année. Le parc social ne suit pas les besoins. 2,42 millions de ménages sont ainsi en attente d’un logement social, dont 1,63 million pour une première attribution. Quelque 400 000 logements sont délivrés par an par les bailleurs sociaux. Largement insuffisant donc. En trois ans, les délais d’attente ont augmenté de 20 % à 30 % selon les régions. Et dans le parc social, où selon l’Ancols (Agence nationale du contrôle du logement social) 20 % des ménages se déclarent comme pauvres, la rotation sur les logements est faible (moins de 8 %), les locataires préférant conserver leur domicile plutôt que de s’aventurer dans la quête incertaine d’un nouveau logement. En Île-de-France, expliquait récemment un élu de la Région, c’est dix ans d’attente. Actuellement, on dénombre 783 000 ménages candidats, soit deux fois plus qu’il y a dix ans, indique l’Union sociale pour l’habitat. La situation est tout aussi compliquée en province. Exemple au Mans avec 9 200 dossiers en attente dans la métropole. Partout, les délais d’attente se comptent plutôt en années qu’en mois ! Les candidats sont des ménages fragiles, modestes et même de la classe moyenne, tous ayant qui plus est pris de plein fouet l’inflation, rongeant des revenus (salaires, pensions, minima sociaux) insuffisamment revalorisés. Beaucoup ne peuvent accéder au parc locatif privé (qui loge 23 % des ménages français), aux prix prohibitifs et lui aussi en « tension » dans de nombreuses zones. Leurs moyens leur permettent encore moins d’accéder à la propriété, impliquant un endettement conséquent, calculé en fonction des revenus et nécessitant l’approbation de banques de plus en plus frileuses. Gonfler la capacité du parc social est donc essentiel. Et cette nécessité a à voir aussi avec la réduction des inégalités sur l’emploi. Fin novembre, une enquête de la CPME indiquait ainsi que 19 % des patrons des petites et moyennes entreprises peinant à recruter signalent que des candidats ont dû renoncer à l’emploi proposé à cause de leur difficulté d’accès au logement. La situation s’aggrave. Ils n’étaient « que » 10 % à faire ce constat en avril dernier.

Valérie Forgeront

 

Construction de logements sociaux : à quand une véritable politique publique ?

Les 2,4 millions de ménages qui attendent un logement social en France n’ont pas fini de patienter ! Entre 2020 et 2022, 64 % des communes tenues de combler leur déficit de logements sociaux n’ont pas atteint leur objectif légal de production, alors qu’elles n’étaient que 47 % dans ce cas lors du précédent bilan triennal, a révélé en décembre la commission nationale chargée du suivi de la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) de 2000. Laquelle impose aux communes d’atteindre un minimum de 20 % ou 25 % de HLM parmi leurs résidences principales d’ici 2025. Conséquence, alors que les objectifs agrégés de production étaient de 278 177 logements HLM en 2020-2022, seuls 186 124 ont été bâtis. Le taux de réalisation total a chuté à 67 % (contre 116 % en 2017-2019). Avec d’extrêmes disparités territoriales. En région Paca, 158 des 166 villes soumises à la loi SRU (soit 95 % !) n’ont pas tenu leurs objectifs... L’opposition de certains élus locaux l’explique pour la fondation Abbé-Pierre, qui appelle à une application plus ferme de la loi.

Les capacités de financement des bailleurs sociaux grevées

Mais ni le non-respect de la loi SRU par les élus locaux, ni la crise sanitaire qui a bouleversé le secteur de la construction ne sauraient, seuls, expliquer la crise sévère que traverse le logement social. La production de HLM s’effondre. Passée depuis 2020 sous les 100 000 logements par an, elle devrait continuer de ralentir pour se stabiliser à une moyenne de 66 000 logements neufs par an à partir de 2030, a alerté en septembre la Caisse des dépôts et consignations. De fait, les bailleurs sociaux ont vu depuis 2018 leurs capacités de financement grevées par une série de décisions politiques, et devraient donc construire beaucoup moins de logements.

La loi de finances pour 2018, qui a instauré la réduction de loyer de solidarité ou RLS, a été le premier coup de boutoir pour le secteur. Il s’est vu obligé de financer cette remise de loyer pour les locataires de logement social (éligibles sous conditions de ressources), laquelle a permis à l’État de faire des économies en réduisant d’autant le coût des aides personnalisées au logement, versées aux locataires concernés. Manque à gagner pour les bailleurs sociaux ? 800 millions en 2018 et 2019, puis 1,3 milliard par an jusqu’en 2022. Le deuxième séisme a été la multiplication par six, de 0,5 % à 3 %, entre février 2022 et février 2023, du taux d’intérêt du livret A, sur lequel sont indexés les taux des emprunts accordés aux organismes HLM, et qui est donc le facteur aggravant du coût de leur dette. Leur endettement a ainsi explosé, avec 6 milliards d’euros de dépenses supplémentaires depuis 2022, selon l’Union sociale pour l’habitat (USH). Ajoutez-y l’effort de rénovation énergétique de leur parc, que les bailleurs sociaux doivent engager pour tenir les objectifs d’éradication des passoires thermiques fixés par la loi Climat et résilience de 2021 (estimés à plus de 100 milliards d’euros en quinze ans par l’USH), et les marges de manœuvre, pour la construction, apparaissent minimes.

Signés en octobre, les engagements de l’État et du mouvement HLM pour la transition écologique et la production de logements sociaux 2024-2026 ne risquent pas de changer la donne. Même si l’exécutif y promet un plan de soutien de 1,2 milliard d’euros sur trois ans. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, en cours d’adoption, en fait la parfaite démonstration : le soutien au secteur pour la rénovation énergétique s’élève… à 40 millions d’euros. Et le PLF n’intègre pas de réexamen de la RLS.

Elie Hiesse

 

Action Logement, un organisme paritaire convoité par l’État

Action Logement, où siège FO, est l’organisme paritaire qui collecte et gère la Participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC), une cotisation versée par les entreprises du secteur privé, y compris agricole, d’au moins 50 salariés. Il est l’héritier du 1 % logement, créé en 1953 pour améliorer, après-guerre, le logement des salariés. Sa vocation est de faciliter l’accès au logement pour favoriser l’emploi, par le biais de deux missions.

D’une part, Action Logement construit, finance et rénove des logements sociaux et intermédiaires, prioritairement dans les zones tendues. En 2022, il a obtenu 43 000 autorisations de construction de logements, soit un peu moins de la moitié du total national. Avec un patrimoine de 1,1 million de logements sociaux gérés par une cinquantaine de filiales, il est aujourd’hui le premier bailleur social français.

D’autre part, l’organisme aide les salariés à louer un logement ou à devenir propriétaires par le biais de prêts, de subventions ou de services, notamment pour favoriser la mobilité. À titre d’exemple, avec la Garantie Visale, Action Logement se porte garant gratuitement pour couvrir les loyers impayés et les dégradations locatives. Plus de 280 000 salariés ont pu bénéficier de ce service en 2022. Quelque 16 500 prêts d’accession à la propriété ont également été accordés.

Pour FO, le logement ne doit pas être trop éloigné du lieu de travail, d’une part pour améliorer la qualité de vie, et d’autre part pour réduire les coûts de déplacement, donc préserver le pouvoir d’achat, explique Pascal Lagrue, secrétaire confédéral FO chargé du logement. La confédération milite aussi pour un logement abordable, tant en termes de loyer que de coût énergétique.

La nécessité d’une politique d’aide à la pierre

Les ressources d’Action Logement n’ont cessé d’être rognées au fil du temps. Depuis 1992, le taux de la PEEC n’est plus de 1 % de la masse salariale, mais de 0,45 %. Par ailleurs, l’assiette a été réduite par la loi Pacte, adoptée en 2019, qui a relevé le seuil de cotisation pour les entreprises du secteur privé de 20 à 50 salariés. Et l’État n’hésite pas à piocher dans les caisses de l’organisme : 300 millions d’euros prélevés en 2023, 500 millions en 2020… Pomper dans les fonds propres d’Action Logement, c’est obérer sa capacité de production et de rénovation de logements au bénéfice des salariés, dénonce Pascal Lagrue.

En mai 2023, Action Logement a carrément failli être démantelé, l’État ayant eu le projet de le reclasser en administration publique. Cette décision remettrait en cause de facto la gestion paritaire telle que nous la connaissons aujourd’hui et pourrait conduire à une réduction drastique des moyens issus de la Participation des entreprises à l’effort de construction, avait alors dénoncé le secrétaire confédéral. Une nouvelle convention quinquennale 2023-2027 sur l’utilisation de la PEEC a finalement été signée en juin avec l’État, pour un budget de 14,4 milliards d’euros.

Plus globalement, FO exige la mise en place d’une véritable politique d’aide à la pierre afin de relancer la construction de logements. Alors que la confédération est convaincue que la bataille à mener est celle des ressources pérennes du secteur du logement social, nécessaires pour répondre aux besoins croissants, une nouvelle menace vient d’apparaître. La loi 3DS donne en effet la possibilité aux intercommunalités volontaires de devenir autorité organisatrice de l’habitat (AOH). Et pour financer ces dispositifs, un projet de décentralisation d’une partie de la PEEC est dans les tuyaux. Nous allons être très attentifs sur ce dossier, prévient Pascal Lagrue.

Clarisse Josselin

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

Clarisse Josselin Journaliste à L’inFO militante

Elie Hiesse Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération

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