Mobilisation interprofessionnelle du 18 octobre : le déni de la question salariale dans l’industrie pétrolière catalyse la colère des travailleurs

Actualités par Elie Hiesse, FO Chimie, L’inFO militante

Jean Claude MOSCHETTI/REA

Pour FO, la remise en cause du droit de grève par les réquisitions décidées par l’exécutif à l’encontre des salariés grévistes de l’industrie pétrolière est fondamentalement inacceptable. C’est sur cette base, ainsi que sur les augmentations de salaires, que FO a décidé d’appeler le 18 octobre à une journée de mobilisations et de rassemblements, avec trois autres organisations syndicales et les mouvements de jeunesse. Y compris par la grève. Pour défendre le droit de grève. Pour aussi exiger des augmentations salariales rattrapant l’inflation et reflétant une juste répartition des richesses créées par les travailleurs.

Réquisitionner des salariés, alors qu’ils exercent légitimement leur droit de grève pour revendiquer une hausse de salaire compensant l’inflation et proportionnée aux profits réalisés par leur employeur. Puis les obliger à effectuer des opérations de transfert ou de chargement de carburants, sous la contrainte de sanctions pénales ! La décision prise par l’exécutif, les 12 et 13 octobre, à l’encontre de plusieurs salariés du dépôt de carburants Esso-ExxonMobil de Seine-Maritime et du dépôt TotalEnergies de Mardyck (Nord), est inacceptable pour FO. Le secrétaire général Frédéric Souillot l’a signifié dès le 13 octobre au matin, sur FranceInfo.

Défendre les droits des travailleurs, obtenir une juste répartition des richesses qu’ils créent

D’abord, parce que cette procédure, condamnée par l’OIT, constitue une atteinte contre les libertés fondamentales, à commencer par le droit constitutionnel de grève. La grève est normale, a ainsi appuyé Frédéric Souillot, en déplacement vendredi 14 octobre dans les Hautes-Alpes, appelant à ne pas jeter l’opprobre sur les syndicalistes.

Ensuite, parce que l’exécutif a préféré sanctionner les travailleurs plutôt qu’agir sur le refus des patrons de l’industrie pétrolière d’envisager un meilleur partage des profits exceptionnels 2022.

Il a fallu attendre ce 13 octobre, 17e jour de grève dans les quatre raffineries TotalEnergies, pour que l’exécutif fasse pression : TotalEnergies a la capacité, donc le devoir, d’augmenter les salaires de ses salariés, a fini par déclarer le ministre des Finances, Bruno Lemaire. Et dans la soirée, des négociations se sont rouvertes ! Les premières depuis le début de la grève le 27 septembre. Fallait-il attendre d’en être à la troisième semaine du mouvement ? La réponse est non. Les salariés ne sont pas responsables de la pénurie de carburants : pour FO, le blocage patronal l’a créée.

Dans ce contexte de mépris des droits des travailleurs, de déni de leur revendication d’une augmentation salariale compensant l’inflation et cohérente avec les profits réalisés –laquelle revendication est partagée par les travailleurs de tous les secteurs professionnels, privés comme publics-, FO a décidé d’organiser le 18 octobre une journée interprofessionnelle de mobilisations avec trois autres organisations syndicales et quatre mouvements de jeunesse. Y compris par la grève. Pour la défense du droit de grève, pour la hausse des salaires, dans un communiqué commun publié à l’issue d’une intersyndicale le 13 octobre, ils appellent donc les travailleurs, salariés, retraités et la jeunesse à se mobiliser en participant aux rassemblements organisés devant les préfectures et sous-préfectures. A la sortie de cette réunion de l’intersyndicale Patricia Drevon, secrétaire confédérale chargée de l’organisation et membre de la délégation FO, précisait : les réquisitions ont décidé FO.

Chez Esso-ExxonMobil, une grève spontanée des bas salaires

Les grévistes des raffineries Esso-ExxonMobil de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) et de Port-Jérôme-Gravenchon (Seine-Maritime) ont levé leur mouvement jeudi 13 et vendredi 14 octobre. Après 23 jours de grève sur le site marseillais, 24 jours sur le site normand, premier visé par les réquisitions. Mais ces dernières ne sont pas en cause dans l’arrêt de la grève.

C’est un tout : le coût financier de la grève pour les salariés, leur fatigue mentale et physique, la surdité de la direction face aux revendications, la surmédiatisation du conflit. Tout cela explique la fin du mouvement. La caisse de grève semble conséquente (https://www.cotizup.com/caisse-de-greve-exxonmobil) mais elle ne comblera pas toutes les pertes de salariés grévistes depuis 23 et 24 jours. Le moindre euro de dons sera important, explique Pierre-Antoine Auger, délégué syndical central pour FO, troisième organisation du groupe et syndicat majoritaire sur le site normand, côté raffinerie.

A l’issue de la dernière AG, vendredi à 14h, le militant raconte des salariés fiers d’avoir tenu et obtenu des avancées par la grève, même si le compte n’y est toujours pas. Il rappelle que le conflit, débuté le 20 septembre après l’unique séance de négociations salariales 2023, a été complètement spontané, porté par les plus bas salaires. Contrairement aux affirmations des médias, ni FO ni aucune autre organisation n’ont appelé à la grève. Nous avons relayé les revendications des salariés qui, à chaque AG, toutes les huit heures, ont librement exercé leur droit de grève. Le DSC FO était encore sur la route de retour des négociations le 20 septembre, lorsque les salariés des raffineries ont débrayé, salle par salle, en apprenant la proposition de la direction pour 2023.

Nous nous sommes heurtés à un mur

4 % d’augmentation générale, 1,5 % d’augmentations individuelles : la proposition patronale était insuffisante pour couvrir le rattrapage d’inflation 2022 et l’inflation attendue en 2023, rappelle-t-il. Mais la mèche qui a mis le feu aux poudres, c’est le montant de la prime de partage de la valeur (PPV), défiscalisée, mise sur la table.

Alors que le groupe Esso SAF, détenteur des deux raffineries françaises, a vu son bénéfice net exploser au 1er semestre 2022 à 409 millions d’euros, (contre une perte de 59 millions d’euros au premier semestre 2021), du fait de l’explosion des prix de l’énergie, il propose une PPV de 3.000 euros pour les 1.600 salariés. Vu les bénéfices, les salariés espéraient le double, soit le maximum autorisé, précise le DSC FO, qui a porté cette revendication, ainsi que celle d’une augmentation générale de 7,5 %, avec clause de revoyure, calculée pour couvrir l’inflation 2022-2023. Toutes deux balayées. Nous nous sommes heurtés à un mur. Alors que nos revendications représentaient l’équivalent d’1,5 jour de production en France, la direction a préféré en perdre 24 dans la grève, plutôt que d’accorder une juste rémunération aux salariés ! », dénonce le militant.

En trois semaines de mouvement, le deuxième raffineur en France est resté inflexible sur le montant de l’enveloppe d’augmentations, à + 5,5 %. Unique avancée, après trois jours de grève, la direction a accepté de changer la répartition de l’enveloppe, et d’accorder 5 % d’augmentation générale (contre 4% avant), avec un plancher mensuel à 125 euros, souligne Pierre-Antoine Auger. Le groupe ajoutera in extrémis, le 10 octobre, au 20e jour de grève, une prime aux transports de 750 euros brut (grâce à laquelle il a obtenu un accord salarial majoritaire).

La bataille de l’opinion, pour décrédibiliser les grévistes

Reste qu’en externe, le groupe communique sur bien plus : une évolution globale des salaires de 6,5 % en 2023. Ce chiffre, précise Pierre-Antoine Auger, intègre les mesures d’ancienneté et de promotion 2023, dont tous les salariés ne bénéficient pas.

Dans son communiqué de presse diffusé le 9 octobre, le groupe juge utile de préciser la rémunération mensuelle moyenne d’un opérateur de raffinerie : 4.300 euros par mois, toutes primes confondues mais hors intéressement et participation. Chiffre que conteste Pierre-Antoine Auger, qui joue la transparence. Après quinze ans d’ancienneté, l’opérateur extérieur en pétrochimie, coefficient 215, annonce un salaire de base de 2.600 euros, porté à 3.000 euros nets avec les primes de travail posté en 3X8. Quant aux primes de participation et d’intéressement, elles fluctuent par définition. En 2022, elles se montaient en moyenne à 2.800 euros au total et en 2021, à 421 euros. La direction a joué la bataille de l’opinion et essayer de la faire basculer en défaveur des salariés grévistes, poursuit le DSC FO. Également secrétaire adjoint de l’Union locale FO du Havre, il sera des mobilisations du 18 octobre.

Chez TotalEnergies, FO poursuit la grève

La signature d’un accord majoritaire sur les salaires pour 2023, dans la nuit du 13 au 14 octobre chez TotalEnergies, n’a pas entamé la détermination des grévistes à obtenir une plus juste répartition des profits exceptionnels réalisés. Lesquels ont explosé au premier semestre 2022 : le bénéfice net groupe a atteint 10,2 milliards de dollars.

Vendredi 14 octobre, les sections FO des raffineries de la Mède (Bouches-du-Rhône), de Donges (Loire-Atlantique), de Normandie (Seine-Maritime) ont décidé de reconduire le mouvement. Nous n’avons pas encore les résultats des délibérations de la section FO de la raffinerie de Feyzin (Rhône). Ils devraient aller dans le même sens, expliquait à 20h Jean-François Vapillon, secrétaire fédéral de FO Fédéchimie, chargé de la branche pétrole.

Quatrième organisation dans le raffinage chez TotalEnergies, FO soutient le mouvement depuis son début le 27 septembre et l’a formellement rejoint le 12 octobre. Les réquisitions prononcées à l’encontre des salariés-grévistes ont été l’élément déclencheur. Cette attaque contre le droit de grève est intolérable, appuie Jean-François Vapillon. Le militant rappelle que depuis mars les syndicats alertent la direction sur la nécessité de rouvrir les négociations salariales 2022, face à l’inflation galopante. L’accord salarial signé début 2022 a accordé 2,5 % d’augmentation générale à environ 80 % des personnels. Il faut un rattrapage. Mais la direction n’a jamais voulu sortir de son calendrier, renvoyant aux négociations 2023, raconte le militant. Jusqu’au coup de pression de l’exécutif, qui a contraint à avancer les discussions, initialement prévues mi-novembre.

Le nouvel accord salarial entérine une augmentation générale de 5 %, rétroactive au 1er novembre, ainsi qu’une prime PPV représentant un mois de salaire. Cela reste insuffisant pour FO, qui revendique une augmentation générale de 10 %, au titre du rattrapage 2022 et de l’inflation 2023. Et le syndicat n’est pas prêt de lâcher. S’il y a bien une entreprise qui peut augmenter les salaires, c’est TotalEnergies !, explique Jean-François Vapillon.

La tentative de TotalEnergies de discréditer les grévistes, en révélant comme son concurrent Esso (et le même jour !) la rémunération mensuelle moyenne d’un opérateur de raffinerie (elle serait de 5.000 euros par mois, intéressement-participation compris) a durci les positions. Ce chiffre est absolument faux. Mais, puisque la direction le tient pour vrai, on pourrait prendre à l’avenir ce chiffre comme point de départ des négociations, ironise le secrétaire fédéral FO. Il sera dans les manifestations le 18 octobre.

Elie Hiesse Journaliste à L’inFO militante

FO Chimie Chimie, industries chimiques

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération