Policiers : le compte n’y est pas encore

Emploi et Salaires par Valérie Forgeront, FSMI FO

Un millier de policiers dans les rues de Paris le 26 octobre 2016 exprimaient leur colère dans leur «  marche de la colère policière et citoyenne  ». Photos : F. Blanc / FO Hebdo (CC BY-NC 2.0)

Le chef de l’État a présenté aux syndicats de policiers qu’il recevait ce 26 octobre dans la soirée des mesures censées améliorer leur protection et leurs conditions de travail notamment. Pour Unité-SGP-Police-FO, le plan marque certes une « avancée » mais cela ne suffit pas. Pour ces fonctionnaires en effet, la coupe est pleine. Après diverses actions de protestation ces jours derniers, plus de 15 000 policiers ont manifesté ce mercredi à Paris et dans quatre-vingts villes en province.

A Paris, pour cette « marche de la colère policière et citoyenne » à l’initiative du syndicat Unité-SGP-Police-FO, un millier de fonctionnaires se sont rendus en cortège de la place de la République à l’hôpital Saint-Louis, hôpital où est toujours soigné l’un des deux policiers blessés dans sa voiture de fonction le 8 octobre à Viry-Châtillon (Essonne). Dans le cortège sans banderole syndicale, les policiers rappellent qu’en 2015, il y a eu 1 032 policiers blessés par mois.

Dans la soirée, les syndicats de policiers ont rencontré le chef de l’État, lequel a annoncé un train de mesures. Le plan doté d’un budget de 250 millions comporte diverses propositions dont l’abandon partiel des tâches indues, une mesure permettant l’anonymisation des fonctionnaires lors des interventions, une autre visant à aligner les peines pour outrages sur celles des magistrats, la mise en place d’un groupe de travail sur la légitime défense, un plan de rénovation des commissariats insalubres, des mesures de rénovation et d’adaptation des véhicules, des patrouilles à trois (et non seulement deux agents) sur les zones sensibles…

Pour le syndicat Unité-SGP-Police-FO, ces propositions traduisent à l’évidence une « avancée ». Pour FO, l’application concrète et rapide de telles mesures pourrait commencer à apaiser les fonctionnaires de police. Commencer seulement car ces mesures ne répondent pas à toutes les attentes.

Et pour cause. L’exécutif n’a fait aucune proposition en matière de rémunérations. Rien sur le salaire, le régime indemnitaire, la formation… Pour FO, le plan annoncé ne correspond donc pas à un protocole susceptible de pallier les carences de celui présenté en avril dernier et non signé par Unité-SGP-Police-FO. Ce plan était insuffisant en termes de reconnaissance, notamment au plan des rémunérations indique Nicolas Comte, le secrétaire général adjoint du syndicat Unité-SGP-Police-FO.

Débordés par des missions inutiles

Au-delà de cette attente de reconnaissance à travers la fiche de paye, les policiers FO qui dans une liste non exhaustive de revendications ont présenté vingt demandes majeures, soulignent la nécessité d’adapter les missions de police à la réalité du terrain.

En effet, les services de police assurent de plus en plus de missions tout en étant « débordés » par celles inutiles (protection de personnalités, gardes de bâtiments…) insiste Unité-SGP-Police-FO. Or, les effectifs sont insuffisants pour réaliser tout cela. Cette situation induit souvent une mise en danger des fonctionnaires contraints par exemple de réduire les patrouilles à deux agents au lieu de trois.

Plus largement, il faut recentrer le travail des policiers sur leurs vraies missions de police (sécurité, surveillance…) demande FO. Cela couvre un éventail de revendications reprises le 26 octobre par les manifestants en demande d’une « juste reconnaissance » du travail effectué par la police.

« On achète nos gilets… »

Dans le cortège parisien ce mercredi, trois policiers d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) soulignaient ainsi que le respect de leur travail doit passer par exemple par l’amélioration des locaux.

Pour l’instant, pour meubler leur salle de pause, ces policiers utilisent le système D de la récup’ de mobilier vieillot jeté par des entreprises ou des amis. Quant à leur matériel de protection, ils doivent souvent se le payer, en l’absence de crédits pour cela. On achète nos gilets, nos porte-menottes, nos chaussures…

Le matériel roulant à disposition pour réaliser les missions est en piteux état. Les voitures sont usées, abimées, défoncées de partout, souvent avec des pneus lisses. Souvent en réparation.

Les policiers protestent aussi contre le sous-effectif chronique. Il faut en général attendre que se déroule un fait-divers grave avant d’obtenir des effectifs supplémentaires. Le secteur de police d’Aubervilliers et des alentours avait ainsi perdu 25 postes ces dernières années, il a reçu le renfort de 23 policiers depuis l’agression mortelle d’un résident chinois en août dernier. Certains postes du secteur n’ont toutefois « touché » aucun renfort indique un fonctionnaire. Ainsi, faute d’effectifs, le poste de Sevran ne dispose plus d’une brigade de nuit.

Des heures sup’ par milliers

Malgré de récentes créations de postes censées combler des suppressions antérieurs massives, le déficit global des effectifs reste important. Or, cela a des incidences fâcheuses sur le rythme et les conditions de travail.

Nous avons un collègue qui à 37 ans et avec dix ans d’ancienneté a accumulé 1 140 heures supplémentaires. Un policier à la retraite confirmait ces propos. L’an dernier il est parti en retraite huit mois avant la date prévue. Cette période correspondait au temps nécessaire pour liquider toutes les heures supplémentaires que j’avais accumulées.

Pour cet autre policier de 53 ans, vingt-quatre ans d’ancienneté dans la police et chef d’une brigade de police secours dans le Val-de-Marne il est urgent d’obtenir de vrais effectifs et non des ADS (adjoints de sécurité).

Il estime qu’il faut arrêter aussi de monopoliser le temps de travail des policiers par des missions parasites du genre garde statiques devant les monuments, protection de personnalités… Cela occupe 70% du temps de travail du service lequel manque déjà d’effectifs pour les vraies missions de sécurité.

Des salaires pas à la hauteur

Il interdit à son équipe de partir en patrouille à seulement deux agents. Tant pis, quand ce n’est pas possible de partir à trois, faute d’effectifs, les gars de sortent pas. Pour lui, c’est une aberration de ne pouvoir réaliser une telle mission publique, sauf à faire prendre des risques aux fonctionnaires.

Le manque de matériel dans son service devient insensé. Cela fait cinq ans que je n’ai plus de gilet pare-balles ! Si besoin, je dois en emprunter un, vieux, très lourd et pas adapté. Venu manifester en famille, ce policier a sérieusement pensé à quitter l’administration. Si j’avais dix ans de moins, je démissionnerais.

La reconnaissance doit passer aussi par le salaire insistent de nombreux policiers manifestants. Brigadier au 3e échelon et en poste en Seine-Saint-Denis, l’un d’eux révèle son salaire. Je gagne 2 350 euros net après dix-sept ans de carrière. Et ce montant de salaire comprend les primes bien sûr et tient compte du fait que je travaille en région parisienne.

Un policier en retraite livre le montant de sa pension : 1 600 euros nets cela à l’issue de vingt-cinq ans de carrière. Un autre, en activité et affichant près de 25 ans de carrière gagne 2100 euros brut… Pour ces policiers, le compte n’y est pas. D’autant moins lorsqu’il est mis en regard des conditions de travail, horaires et des prises de risques.

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

FSMI FO Ministère de l’intérieur