Psychiatrie : au Vinatier, le Covid-19 comme alibi pour fermer des lits

Service Public par Michel Pourcelot

Article publié dans l’action Coronavirus / Covid19 - Pandémie

FO est mobilisée à l’hôpital psychiatre du Vinatier, le plus grand de France, où, sous couvert d’affronter le Covid-19, les objectifs d’économie se poursuivent et se traduisent par des fermetures de lits.

L’état d’urgence n’était même pas encore déclaré que la direction du CHS (centre hospitalier spécialisé) Le Vinatier, à Bron, près de Lyon, annonçait, les 16 et 17 mars, la fermeture dans cet établissement psychiatrique, le plus important du pays, de deux unités de 25 lits ainsi que celle de 10 autres lits. Objectif annoncé : dédier cinquante lits aux malades du Covid. Mais fin avril, seulement dix de ces lits étaient occupés par des malades atteints du virus. Cette stratégie de transformation de la nature des lits a eu des conséquences : on a dû littéralement mettre plus de 80 patients (pour soins psychiatriques, Ndlr) à la porte, pour ne pas dire à la rue, notamment pour l’un d’entre eux, raconte Géraldine Museo, secrétaire générale du syndicat FO de l’établissement, elle-même infirmière au service d’accueil. Pour elle, cette manière de faire est dramatique, on met à la rue des patients qui arrivent des urgences, sont schizophrènes, en crise, en dépression ou en état maniaque.

Le faux argument du manque d’effectifs

Cela ne s’est pas arrêté là : le 10 avril au soir, la direction a demandé brutalement (par mail, et donc à la veille du long weekend de Pâques) de fermer 22 autres lits au 17 avril, en invoquant le manque d’effectifs. Un argument qui ne tient pas selon Géraldine Museo, expliquant que le taux actuel d’absentéisme parmi le personnel est de 10% contre 8,9% en temps normal. Cet absentéisme n’est donc pas supérieur à celui de l’hôpital, soit environ 10 %.

Le personnel concerné a signé à l’unanimité une pétition lancée à l’initiative de Force Ouvrière et adressée au directeur général de l’établissement ainsi qu’au président de la CME. Si le but de votre vie, c’est de mettre les malades dehors, assumez-le. Ayez le courage de vos décisions, ne vous servez pas de nous. déclarent les agents dans leur pétition.

De plus, souligne Géraldine Museo, 150 agents ont été placés en réserve chez eux par la direction elle-même. Or, avec eux, quatre unités pourraient rouvrir, précise-t-elle. La fédération SPSS-FO (Services publics et de Santé FO) leur a exprimé son soutien et a revendiqué l’arrêt immédiat de cette fermeture de service et la mise à disposition des moyens humains, matériels et financiers pour la prise en charge de la population qui dépend du CHS Le Vinatier. Pour le secrétaire général de la SPS-FO, Didier Birig, cette situation est intolérable d’autant qu’en cette période de pandémie au Covid-19 et plus encore après, les besoins de prise en charge des troubles psychiques vont redoubler !.

Les revendications de FO pour de vrais moyens

En l’absence de contact avec la direction, des agents manifestent désormais tous les mardis et jeudis depuis le 21 avril dans l’enceinte du Vinatier. Majoritaire dans l’établissement, FO demande notamment la réouverture des unités fermées, le maintien de l’unité de géronto-psychiatrie Renoir qui doit être supprimée le 1er juin, la stagiairisation des contractuels, l’embauche de personnels et bien sûr l’annulation du plan d’économie de 10 millions (fermeture d’unités, soit quelque 75 lits, et baisse des effectifs) contre laquelle le personnel est mobilisé depuis des mois.

Le risque d’un effet d’aubaine…

L’état d’urgence sanitaire et l’épidémie sont une aubaine pour avancer dans la restructuration (comprenez fermeture) de la psychiatrie publique, a souligné l’intersyndicale du Vinatier. La direction a d’ailleurs partiellement confirmé les inquiétudes des syndicalistes en déclarant que certaines fermetures de lits étaient temporaires et dues à la crise sanitaire, mais que d’autres étaient effectuées dans le cadre du plan d’économie annoncé en 2019 lequel est conforme au projet territorial de santé mentale, validé par l’ARS (Agence régionale de santé).

Ces déclarations ne sont pas sans rappeler celles du directeur de l’ARS du Grand Est, limogé le 8 avril. Il avait confirmé quelques jours auparavant, le 4 avril, le maintien du plan de restructuration (suppressions de postes et de lits) du Centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy. Il ne voyait pas de raison de le remettre en cause et affirmait que la trajectoire reste la même … La Fédération SPS-FO avait de son côté exigé alors de la concordance entre les propos du gouvernement et les actions des ARS.

Dispatcher les patients dans des Ehpad ?

Géraldine Museo a adressé un courrier au directeur général du CHS Le Vinatier, le 30 avril, lui demandant la réouverture des unités fermées et l’abandon de la suppression de l’unité de géronto-psychiatrie Renoir. En effet, interroge-t-elle, où allons-nous placer les patients d’ULE (unité de longue évolution. NDLR) et de Renoir ?. Pour elle, il serait criminel de le faire dans des Ehpad, où il y a eu officiellement plus de 10.000 morts à déplorer !. Alors où ? s’interroge-t-elle : A l’Ehpad de Pollionnay, à 20 km à l’ouest de Bron. NDRL) où il y a eu 28 morts ? A l’hôpital d’Albigny (le centre hospitalier gériatrique du Mont d’Or à Albigny-sur-Saône, à une vingtaine de kms de Bron. NDRL) où il y en a eu plus de 70 ?. Dans ce dernier établissement, pas moins de 106 agents étaient contaminés par le Covid-19, au 15 avril, ont même alerté le syndicat FO de l’hôpital et le Groupement départemental FO des Services publics et des Services de Santé du Rhône.

A la date du 28 avril, Santé publique France (SpF) comptabilisait 397 décès survenus dans les Ehpad du département du Rhône, le plus touché de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Les restructurations suspendues ou abandonnées ?

Si l’hôpital Le Vinatier n’a déploré aucun décès par le Covid-19, son cas a été cité (avec celui de l’hôpital de Douai) lors de la séance des questions au gouvernement le 29 avril à l’Assemblée nationale. Interrogeant le ministre de la Santé, un député a critiqué le fait que des restructurations se poursuivent malgré la crise sanitaire. Ce alors que, le 5 avril, le ministre avait annoncé leur report et qu’elles seraient soumises au questionnement de l’après-crise : Tous les plans de réorganisation sont évidemment suspendus à la grande consultation qui suivra, avait-il assuré.
Ce même parlementaire a également rappelé le plan massif pour l’hôpital annoncé par le chef de l’État, le 25 mars à Mulhouse. Dans sa réponse, le ministre a voulu indiquer, le 29 avril, devant les députés, qu’il n’était pas question que les plans d’économie soient appliqués pour le moment, précisant qu’il avait annoncé la suspension de tous les plans de restructuration, sur tout le territoire, au Vinatier, dans le Grand Est ou ailleurs : on arrête tout et on verra plus tard, après avoir consulté les acteurs de terrain.

Le on verra après peut inquiéter. Est-ce à dire que serait reprise la même trajectoire d’économies ? Dans un courrier du 23 avril au syndicat FO du Vinatier, la direction a clairement exprimé qu’elle entend bien toujours, à l’issue de la crise Covid-19, tenir compte des axes du projet médical adopté il y a quelques mois

Michel Pourcelot Journaliste à L’inFO militante