Le 3 avril, sur l’esplanade des Invalides à Paris, s’est déroulé une scène rare : patrons et salariés de Seb/Tefal réunis dans un même mouvement social. « Ça n’était jamais arrivé, affirme Stéphane Pannekoucke, coordinateur FO pour le groupe Seb, qui y travaille depuis trente ans. Mais nous avons le même combat : maintenir les emplois en France. » Cette fois, la menace perçue ne vient pas d’un PSE ou d’une délocalisation à la sauvage. L’enseigne de petit électroménager et d’articles culinaires faisait front commun avec plusieurs centaines de salariés, contre une proposition de loi qui pourrait mettre en péril l’activité actuelle. « L’écologie oui, nos emplois aussi », clamait une pancarte, au pied de laquelle les travailleurs frappent en rythme les poêles Tefal emblématiques de la marque, dans une « casserolade » assourdissante.
Le texte, porté par le député (EELV) de Gironde Nicolas Thierry, visait à interdire la fabrication, la vente et l’importation en France de produits contenant des substances nocives pour l’environnement et pour l’homme : les PFAS (prononcez « pifasses », pour substances per- et polyfluoroalkylées), aussi surnommés « polluants éternels ». Cette grande famille regroupe des milliers de substances présentes dans d’innombrables secteurs de l’industrie et du commerce : aviation, construction, électronique, systèmes de climatisation, mousses anti-feu, emballages alimentaires… ou encore, poêles antiadhésives.
FO dénonce un amalgame entre différentes substances
La production de ces dernières, fleuron du groupe Seb et de sa marque Tefal, était donc remise en cause. Sur les milliers de PFAS recensés, certains sont bien connus et leur toxicité fait consensus. C’est le cas par exemple du PFOA, ancien composant des poêles antiadhésives, que Seb assure ne plus utiliser depuis 2012 – il est en outre interdit en Europe depuis 2020 et classé comme cancérogène par le Centre international de recherche sur le cancer depuis l’année dernière.
« Les PFAS, c’est un gros mot qui nous tombe dessus depuis deux ans », s’agace Stéphane Pannekoucke. À l’unisson de son employeur, il dénonce un amalgame regrettable : les poêles en Tefal ne contiennent pas de PFOA, mais du PTFE, une substance insoluble. Dans un communiqué, la Fédération FO de la métallurgie a dénoncé un « classement abusif » du PTFE dans la catégorie des PFAS. Si une poêle antiadhésive est utilisée à feu doux ou moyen et ne surchauffe pas (ce que peu d’utilisateurs respectent), le PTFE n’est en effet pas censé pénétrer dans l’organisme humain. L’impact de sa fabrication, de sa destruction ou de son recyclage est en revanche moins connu. De son côté, la Fédération de la Chimie FO indiquait dans un communiqué qu’avant de s’attaquer aux emplois, il était nécessaire de mener des études scientifiques fiables ainsi qu’une politique industrielle ambitieuse.
L’argument d’une menace sur les milliers d’emplois de la filière a en tout cas fait mouche : le 4 avril, au lendemain de la manifestation parisienne, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi interdisant la fabrication et la vente de produits contenant des PFAS, mais en excluant les ustensiles de cuisine du périmètre du texte.
Le temps de la reconversion
Sans s’aventurer sur le terrain de la controverse scientifique, le secrétaire général de FO, Frédéric Souillot, assume la priorité du syndicat : ne pas obliger le groupe Seb à conduire un changement trop rapide, afin de ne pas menacer les 3 000 emplois qu’abritent les usines de Rumilly (Haute-Savoie) et de Tournus (Saône-et-Loire). « À terme, 7 000 emplois sont menacés, en comptant la logistique et les distributeurs, ajoute le secrétaire général. Et quand on sait qu’un emploi industriel entraîne trois emplois de service à sa suite… » Au sein du groupe Seb, le syndicat FO a remporté 54% des suffrages aux dernières élections professionnelles. « Si les salariés ont voté FO, c’était aussi pour la défense de l’industrie et des emplois en France, affirme Frédéric Souillot. Être majoritaires implique des responsabilités. »
Dans ce dossier, le nerf de la guerre, c’est le temps. « On n’est pas prêt pour cette transformation du jour au lendemain », estime Stéphane Pannekoucke. Ça fait trente ans que je suis à Tefal et que ce sont des précurseurs des normes européennes : ils ont toujours essayé d’anticiper. Ils avaient mis en place des services de recherche renforcés. » Des alternatives aux poêles antiadhésives existent pourtant, et Seb les fabrique déjà : inox et céramique. Mais « la céramique, on en vend 1,5 million, pour 37 ou 38 millions d’objets produits », ajoute le coordinateur FO. Celui-ci ne cache pas ses craintes : « Si on met trop de bâtons politiques dans les roues de Seb, ils vont aller produire ailleurs. »
« On a le sentiment que l’écologie est partout, mais une fois de plus, on oppose la fin du monde à la fin du mois », regrette Frédéric Souillot. Alors, comment les concilier ? « Il faut laisser le temps aux industriels de se reconvertir, ils suivent le tempo européen. » Une proposition pour restreindre l’usage des PFAS a été publiée en février par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) – mais le processus décisionnel de l’Union promet des mois, voire des années de débat, qui ne commenceront de toute façon qu’après les élections européennes.