Inès Léraud est journaliste et documentariste. Elle a travaillé pour France Culture, France Inter et Arte Radio et a aussi rejoint le collectif de journalistes d’investigation « Disclose ». Elle s’est spécialisée sur les questions mêlant le social et l’écologique. Elle a enquêté pendant trois ans sur l’agriculture et l’agroalimentaire bretons.
Depuis la fin des années 1980, au moins une quarantaine d’animaux et trois hommes qui s’étaient aventurés sur une plage bretonne et avaient foulé l’estran y ont trouvé la mort. L’identité du tueur en série est un secret de polichinelle. Son odeur d’œuf pourri le trahit. L’hydrogène sulfuré émanant des algues vertes arrive en tête de la liste des suspects.
Malgré les alertes répétées d’une partie de la population, rien n’y a fait. Thierry Morfoisse est ainsi mort en 2009 après avoir charrié une benne d’algues en décomposition. C’est seulement en juin 2018 que son décès a enfin été reconnu comme un accident du travail.
Les algues maudites sont le symptôme d’un mal profond qui prend ses racines dans les lois de modernisation des années soixante. Leur fumet méphitique s’immisce dans une nébuleuse d’intérêts et de lâchetés mêlant gros bonnets de l’agro-industrie, scientifiques à la déontologie suspecte, politiques craignant pour l’emploi ou leur réputation touristique
, écrit Inès Léraud.
Dans le cochon, tout n’est pas bon
Des échantillons qui disparaissent dans les laboratoires, des corps enterrés sans autopsie, des jeux d’influence, des pressions et une véritable omerta du milieu agricole. L’intrigue vraie de cette BD se déroule sur le littoral breton depuis des dizaines d’années. À noter qu’à l’été 2018 on a assisté à un nouveau pic de prolifération d’algues.
Tout commence à la fin des années 1950. Avec les Trente Glorieuses et le baby-boom, il faut nourrir une France en pleine expansion. Il faut donc se mettre à l’agriculture intensive. Les ministres bretons de de Gaulle poussent au développement de l’élevage de porcs en batterie. Outre que leur viande est d’un point de vue gustatif plus que contestable, les bêtes produisent des milliers de tonnes de lisier qui s’infiltrent dans les nappes phréatiques, les ruisseaux et finissent sur les plages où elles permettent à des algues vertes toxiques de proliférer.
Cette agriculture, voulue par les gouvernements, a été relayée, soutenue et poussée par la FNSEA, qui n’est pas un syndicat d’employés mais bien un syndicat patronal. C’est ainsi qu’en page 72 de l’album on peut lire une déclaration du responsable départemental du Finistère : Aucun lien n’a été établi entre les marées vertes et les activités agricoles.
Ah bon !
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Algues vertes, l’histoire interdite, Texte Inès Léraud, dessin Pierre Van Hove. Editions Delcourt, Paris, 2019, 160 pages, 19,99 euros . |