Brexit – Les négociations en passe de commencer avec un Royaume plus désuni que jamais

Europe par Secteur International Europe

Le processus de sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne a officiellement été lancé le 29 mars 2017 par le déclenchement, par le Premier ministre britannique Theresa May, de l’article 50 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). S’ouvre désormais un cycle de négociations qui doivent débuter mi-juin entre le négociateur en chef de l’Union Européenne, le français Michel Barnier, et le futur gouvernement britannique.

Alors que Theresa May avait surmonté tous les obstacles sur son chemin, elle a décidé d’organiser des élections anticipées qui se tiendront le 8 juin 2017 et définiront la composition du nouveau gouvernement. Face aux difficultés rencontrées par le Labour Party et le parti des libéraux-démocrates, la chef de gouvernement actuelle comptait renforcer sa majorité conservatrice au Parlement afin de disposer d’une plus grande marge de manoeuvre dans les négociations avec l’Union Européenne mais surtout pour voir l’accord final pour le Brexit validé sans trop de difficultés par le Parlement britannique.

Toutefois, la stratégie politicienne de Theresa May pourrait se révéler risquée sur le long terme et réactiver les revendications d’indépendance de l’Écosse et de réunification de l’Irlande du Nord avec la République d’Irlande qui est toujours un État membre de l’Union Européenne en cas de percée de leur défenseurs respectifs, le Parti national écossais (SNP) et Sinn Fein, au Parlement britannique.

En effet, alors que la demande de Nicola Sturgeon, la chef du gouvernement écossais, d’organiser un second référendum sur l’indépendance de l’Écosse adressée à Theresa May, a été mise entre parenthèses d’ici la fin de la campagne pour les élections anticipées ; l’Irlande du Nord est dans une impasse politique avec les deux grands partis politiques, Sinn Fein et le Democratic Unionist Party (DUP), incapables de trouver un accord pour composer un nouveau gouvernement – risquant de raviver le spectre d’un pilotage à distance par Westminster ce qui a déchaîné la colère de nombreux nord irlandais dans le passé.

À cela s’ajoute une certaine instabilité à Gibraltar où les velléités espagnoles ressurgissent pour prendre le contrôle du Rocher britannique. Des provocations récentes du gouvernement espagnol et le parti pris par Donald Tusk, président du Conseil européen, de subordonner tout futur accord entre l’UE et Gibraltar à l’aval de l’Espagne a provoqué la colère du gouvernement britannique alors que le spectre de la guerre des Malouines de 1982 pour la défense des îles britanniques plane toujours. Mais le TUC (Trade Union Congress) – principale organisation syndicale britannique – a confirmé la poursuite du projet de groupement européen de coopération territoriale qui doit voir une coopération renforcée des organisations syndicales locales, à la fois gibraltariennes et espagnoles malgré le Brexit.

Les instabilités régionales couplées à la lutte politicienne pour les élections anticipées du 8 juin 2017 risquent de pousser encore davantage le Royaume-Uni au bord de la rupture alors que le TUC continue de se mobiliser pour défendre les droits des travailleurs. Une récente étude Could a bad Brexit deal reduce workers’ rights across Europe ?, commandée par le syndicat et publiée début mai 2017, s’est penchée sur la relation entre le niveau de protection des travailleurs et l’investissement direct étranger et sur les possibles retombées du Brexit sur le niveau de protection des travailleurs en Europe – concluant que le scénario le plus probable est la polarisation du marché du travail avec un affaiblissement de la protection des travailleurs peu qualifiés et un maintien de la protection actuelle pour les travailleurs hautement qualifiés.

La situation chaotique au Royaume-Uni est clairement en contraste avec une Union Européenne, certes en proie à quelques divergences mais unie, qui a donné le feu vert au français Michel Barnier pour mener les négociations dans le cadre du Brexit le 22 mai 2017. Le Parlement Européen a rappelé les lignes rouges à ne pas dépasser dans une résolution du 6 avril 2017 – s’opposant à toute forme de « choix à la carte » et à une relation économique fragmentée caractérisée par des accords sectoriels et contre toute mesure transitoire tant qu’aucun progrès tangible n’aura été réalisé dans les négociations tout en demandant la préservation du haut niveau de protection sociale pour les britanniques.

Un consensus a été trouvé entre les 27 États membres de l’Union Européenne pour définir les lignes directrices des négociations avec le Royaume- Uni que l’on retrouve dans une communication du Conseil de l’Union Européenne du 22 mai 2017. Tout d’abord, les négociations sont divisées en deux phases : la première vise à donner autant de clarté et de sécurité juridique possible aux citoyens, aux entreprises, aux investisseurs et aux partenaires internationaux sur les effets immédiats du Brexit et la seconde vise d’éventuelles mesures transitoires et autres problématiques plutôt secondaires qui ne nécessitent aucune urgence comme les services.

Trois points majeurs sont abordés dans les lignes directrices de négociation : sauvegarder les droits des citoyens européens résidant au Royaume-Uni et vice-versa ; parvenir à un accord financier où le Royaume-Uni s’acquitte de l’ensemble de ses obligations ; régler la situation des biens placés sur le marché et des procédures en cours dans le cadre du droit de l’UE.

Les lignes directrices des négociations émises par l’Union Européenne sont positives dans l’ensemble, garantissant une véritable protection des citoyens européens et britanniques mais limitant de facto la césure du Royaume- Uni de l’Union Européenne en la soumettant, pour un certain temps, à la juridiction de la Cour de Justice de l’Union Européenne, directement ou indirectement – ce à quoi est clairement opposé le Royaume-Uni.

Un accent important a été mis sur l’Irlande du Nord – l’Union Européenne souhaite en effet éviter la mise en place d’une frontière physique entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord afin de sécuriser l’accord de Belfast de 1998 (ou Good Friday Agreement) qui avait scellé la paix entre les révolutionnaires irlandais et le gouvernement britannique et juge que l’accord de libre circulation appelé Common Travel Area est compatible avec le droit de l’UE et pourra toujours être appliqué. Mais l’UE rappelle aussi que les irlandais du Nord garderaient leur statut particulier de citoyen britannique et européen malgré le Brexit.

En parallèle, certains États membres continuent leur lutte pour tirer tous les avantages possibles du Brexit – à l’image du combat acharné autour de la City de Londres, haute place de la finance en Europe. En effet, alors que l’Italie a changé son régime fiscal pour attirer les grandes fortunes et que l’Allemagne continue à envoyer des signaux positifs envers les banques et autres sociétés financières londoniennes, la France se positionne de nouveau comme havre de paix pour traders et banquiers désespérés comme l’a rappelé récemment le nouveau ministre de l’Économie.

Dans ce contexte électoral tendu, les différents partis politiques britanniques ont exprimé leurs vues sur le Brexit dans leur programme électoral respectif. Ainsi, le Parti Conservateur, aujourd’hui au pouvoir sous les traits de Theresa May, a rappelé qu’aucun accord est mieux qu’à un mauvais accord ; les tories voudraient alors faire sortir le Royaume-Uni du Marché unique et de l’Union douanière tout en maintenant une relation profonde et spéciale à travers un accord de libre-échange et un accord douanier avec l’Union Européenne ; ils souhaitent aussi exercer un contrôle sur l’immigration des ressortissants de l’UE tout en sécurisant les droits des citoyens européens résidant au Royaume-Uni et des britanniques résidant au sein de l’UE ; l’accord de libre circulation en place au Royaume-Uni appelé Common Travel Area serait maintenu avec une frontière immatérielle avec l’Irlande. L’inquiétude principale dans leur programme réside dans le Great Repeal Bill – la loi qui transposerait le droit de l’UE dans la législation britannique dont les grandes lignes figurent dans un livre blanc publié le 30 mars 2017 qui semblait aller dans un bon sens pour les travailleurs malgré quelques ambiguïtés et un certain flou. En effet, les conservateurs souhaitent exclure la Charte des droits fondamentaux de l’UE de la transposition du droit de l’UE – énième revirement de Theresa May qui ne cesse de faire des effets d’annonce et revenir sur sa propre parole quelques jours plus tard comme par exemple sur son programme relatif à la protection sociale. Face à un tel programme, les libéraux-démocrates souhaitent, eux, tenir un nouveau référendum sur l’accord final du Brexit en conservant l’option de rester au sein de l’UE, seule solution pour les britanniques de rejeter un hard Brexit qui les exclurait du Marché unique, de l’Union douanière et qui mettrait un terme à la liberté de circulation. Les Travaillistes acceptent le résultat du référendum du 23 juin 2016 et souhaitent construire une nouvelle relation avec l’UE concentrée notamment sur l’emploi et les droits des travailleurs. Ils veulent garantir les droits des citoyens européens résidant au Royaume-Uni et des britanniques résidant au sein de l’UE tout en donnant au Parlement britannique un rôle crucial dans les négociations. Les travaillistes rejettent aussi le livre blanc des conservateurs sur le Brexit et veulent établir de nouvelles priorités pour les négociations en retenant l’accès au Marché unique et à l’Union douanière. Ils réfutent la possibilité de ne pas trouver d’accord et demandent des accords transitoires si besoin. De plus, ils souhaitent maintenir le droit dérivé de l’UE relatif aux droits des travailleurs, à l’égalité, aux droits des consommateurs et aux protections environnementales tout en défendant les intérêts des agriculteurs britanniques. En résumé, le Parti Travailliste se bat pour un soft Brexit avec une participation du Royaume-Uni à l’Union Européenne dans certains domaines, notamment dans le programme Horizon 2020 et ses programmes successeurs mais aussi dans l’Euratom, l’agence européenne du nucléaire, et l’Agence Européenne des Médicaments.
Pour Force Ouvrière. La sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne est complexe et inédite et l’issue des négociations sera décisive pour le futur de l’Union Européenne. Bien qu’il faille s’assurer que les travailleurs britanniques ne paient pas le prix fort de la logique politicienne de Theresa May, le Royaume-Uni doit respecter ses propres engagements notamment sur le plan budgétaire à travers un accord financier juste et raisonnable qui ne fera pas peser l’essentiel de l’effort sur les travailleurs britanniques, qui subissent déjà une précarité galopante et une austérité mettant en danger les services de santé, de l’enseignement ou encore de l’emploi et limitant drastiquement les aides sociales.
Un futur accord doit nécessairement prévoir que le Royaume-Uni transpose l’ensemble de l’acquis social communautaire dans sa législation nationale afin de protéger les droits des travailleurs et éviter le nivellement par le bas ouvrant la voie à un dumping social et fiscal dans les futures relations entre l’UE et le Royaume-Uni. Bien que les premières déclarations de Theresa May paraissent rassurantes, son choix d’exclure la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne témoigne, outre ses nombreux revirements, d’un certain mépris pour une protection effective des droits des travailleurs et des citoyens.
L’instabilité politique et régionale ne doit pas affecter les chances pour les travailleurs britanniques de connaître une issue positive des négociations. Il faut saluer la démarche de l’Union Européenne de sécuriser les droits des travailleurs avant d’entamer toute discussion quant à ses futures relations avec le Royaume-Uni – subordonnant l’éventuelle conclusion d’un accord de libre-échange avec les britanniques à la sauvegarde de la protection des droits des citoyens britanniques et européens résidant au Royaume-Uni.

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