C’est l’histoire de Cesira et Luigi, deux jeunes Italiens du Piémont qui quittèrent leur terre natale au début du XXe siècle en quête de mieux. Quand il n’y avait pas de travail, chaque hiver, avant la neige, la moitié de la population de leur village allait en France
. Et quand il n’y eut même plus de quoi manger, ne resta plus que l’immigration. Le rêve c’était l’Amérique, mais les aléas du destin et un navire qui sombre en mer les laissèrent en Europe. D’abord dans le Valais pour y creuser le tunnel du Simplon, parce qu’à l’époque il n’y avait pas vraiment de frontière. Puis en France dans l’Ariège, la Drome, la vallée du Rhône, au rythme des chantiers difficiles qui avaient besoin de bras. Bien sûr c’est aussi l’histoire de la famille qu’ils fondèrent, des guerres et des épidémies qu’ils traversèrent, des aléas de leur intégration dans un autre pays.
Un réalisateur issu du monde ouvrier
A travers une plongée dans sa mémoire familiale et dans l’histoire du vieux continent, Interdit aux chiens et aux Italiens est le deuxième long métrage d’Alain Ughetto. Ce documentariste autodidacte a commencé dans la vie en tant qu’ouvrier. D’abord porte-mire, puis géomètre. Comme son grand père qu’il n’a pas connu, il a d’abord travaillé sur les chantiers. J’avais l’habitude de dessiner, de bricoler des personnages. J’aurais bien aimé faire les Beaux-arts, mais dans une famille d’ouvriers comme la mienne, on croit rarement que l’art puisse faire vivre son homme.
Il a pourtant persévéré et rapidement dévié de la carrière à laquelle il était prédestiné. Même si dit-il j’ai gardé un esprit ouvrier : le dimanche c’est sacré et j’ai toujours la notion de la journée de travail.
L’envie de faire ce film lui est venue en plongeant dans la généalogie de sa famille. J’avais constaté que tous avaient été naturalisés en même temps, en 1939. Ils vivaient alors en Savoie peu avant que l’Italie ne l’envahisse. J’étais intrigué par ce qu’ils avaient pu alors ressentir et me suis mis à creuser l’histoire.
Les dures conditions de labeur, les camarades qui meurent au travail, la misère des paysans de l’Italie du nord, la construction d’une famille malgré tout, le racisme à l’arrivée en France c’est ce qu’ont vécu ses grands-parents…
Le « stop motion » ou l’animation en volume
Le résultat est un film d’animation qui utilise la technique du « stop motion », déjà choisie par le réalisateur dans son film précédent Jasmine : les personnages et éléments de décors sont construits en volume et non dessinés, puis photographiés à différents stades de leurs mouvements. Lorsque les scènes enregistrées sont restituées à la cadence normale de projection, ces objets – pourtant immobiles lors des prises de vue – donnent l’illusion de bouger par eux-mêmes.
Comme mon père et mon grand-père avant moi, je suis un bricoleur, explique Alain Ughetto. Ils m’ont transmis cela, alors il fallait qu’à mon tour je fasse des films avec mes mains — et avec toutes les petites mains qui ont participé à la construction des décors et l’animation des personnages, bien sûr.
Plus de 25 animateurs et maquettistes venus de toute l’Europe ont participé au film, en plus des techniciens habituels, pour un tournage qui s’est étalé sur deux ans (avec plusieurs interruptions liées au Covid). Les voix sont celles d’Ariane Ascaride, qui interprète Cesira et d’Alain Ughetto, qui dialogue ici avec sa grand-mère disparue.
Malgré les drames qui traversent le récit, l’ambiance demeure légère. La minutie et l’ingéniosité investies dans la conception des décors et des personnages apportent une touche poétique et ludique. Et de temps en temps, la main même du réalisateur s’invite dans une scène. Pour un film émouvant qui transforme une histoire personnelle en voyage universel, celui vécus par de nombreuses communautés exilées de par le monde.
Alain Ughetto, a obtenu le prix du jury au festival du film d’animation d’Annecy.