Quel avenir voyez-vous pour la Grèce après le « non » de dimanche ?
Ce vote percute l’idée en vigueur depuis des années au niveau européen qu’on n’a pas d’autre choix que de suivre les canons néolibéraux. Les Grecs ont décidé de sortir d’une austérité qui leur a valu cinq années de purge, tout en restant dans l’euro. On peut résoudre cette équation en engageant rapidement ce que même le FMI ou DSK recommandent aujourd’hui : une restructuration de la dette, des aides financières et de vraies réformes pour doter le pays d’institutions viables, d’un cadastre et d’un système fiscal qui n’épargne pas l’Eglise ou les armateurs.
En définitive, un Grexit ne serait-il pas un moindre mal ?
Il y a une part d’inconnu quand même. Imaginez que la Grèce sorte de l’euro : ils n’auraient pas plus de sous pour autant et qui leur en prêterait, vu le contexte actuel ? Et donc tous ceux qui leur ont prêté, ils seraient marrons aussi. Et puis est-ce qu’on tient compte des enjeux géopolitiques ? La Grèce et la Russie viennent de signer un accord pour la construction d’un gazoduc en Grèce, par exemple. On ne peut pas faire dépendre tout ça uniquement d’une convention comptable pour ramener un déficit à 3% du PIB.
Loi Macron, 49.3, négociations bloquées sur les retraites complémentaires… Le dialogue social est-il en panne en France ?
Il est en mauvaise posture en tout cas. Le rapport de force penche en faveur du patronat, qui a obtenu beaucoup de concessions : sur le plafonnement des dommages et intérêts aux prud’hommes pour faciliter les licenciements, sur la banalisation du travail du dimanche ou grâce au recul de l’exécutif sur la pénibilité. Et voilà comment la politique libérale de Hollande finit par s’accompagner d’un autoritarisme social.
Et pourtant, on n’observe pas de phénomène de « révolte » sociale…
Quand il y a un problème dans un secteur ou une entreprise, les employés se mobilisent. On l’a vu avec l’AP-HP par exemple. Mais c’est vrai qu’au niveau interprofessionnel, c’est toujours plus compliqué hors-période de croissance.
"Tout le monde doit payer l’impôt sur le revenu, même si c’est symbolique"
Croyez-vous à la baisse du chômage à la fin de l’année ?
Pour ça, il faudrait de la croissance. Or, l’essentiel de la « petite » reprise actuelle est dû à des facteurs internationaux que le gouvernement ne maîtrise pas : prix de l’énergie, niveau des taux d’intérêt, baisse de l’euro. Ce qui tire l’embauche, c’est aussi le carnet de commande, plus que la baisse du coût du travail. La PME qui reçoit des milliers d’euros au titre du CICE, si elle un carnet de commande plat, elle va pas embaucher.
De nombreuses voix suggèrent aussi d’alléger le code du travail. Même Robert Badinter…
J’ai beaucoup de respect pour Robert Badinter. Je n’oublierai jamais qu’il était ministre quand la peine de mort a été abolie. Mais c’est un pénaliste, pas un spécialiste du droit du travail. Je l’ai entendu dire qu’on pouvait alléger le code à droits constants. Mais si on déroge à la durée légale du travail, comme il le préconise, comment cela pourrait-il être à droits constants ?
Après la loi Rebsamen, le gouvernement réfléchit à donner plus de place aux accords collectifs en entreprise par rapport à la loi. Manuel Valls a d’ailleurs confié une mission à Jean-Denis Combrexelles à ce sujet. Pourquoi y êtes-vous réticent ?
C’est toujours la même logique : comme on a la trouille des marchés financiers, on va chercher les économies sur le temps de travail ou les salaires. Dans une étude toute récente, l’Institut syndical européen vient de démontrer que les pays qui ont le plus souffert de la crise – en Grèce et en Europe de l’Est notamment – on retrouve les mêmes schémas visant à remettre en cause les niveaux de négociation et les conventions collectives. Concernant Monsieur Combrexelles, je le crois attaché jusqu’à présent à la hiérarchie des normes. Mais j’ai quand même des craintes. C’est pour ça que FO prépare également pour la rentrée une publication, avec des contributions d’économistes, de sociologues, de juristes qui seront dévoilées en même temps que celle de la mission Combrexelles.
Pourquoi êtes-vous opposé au projet de retenue à la source de l’impôt sur le revenu ?
Pour différentes raisons et notamment sur les modalités : ce sera à l’employeur d’avoir accès à des informations auxquelles on considère qu’il ne doit pas avoir accès. Votre employeur n’a pas à savoir comment vous vivez, si vous avez d’autres sources de revenus ou je ne sais quoi. Ce que je crains aussi, même si on nous dit le contraire aujourd’hui, c’est que ce soit le premier étage d’une fusée. Et que le deuxième étage, ce soit la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG. Nous on dit : tout le monde doit payer l’impôt sur le revenu, même si c’est symbolique. Par contre, dans le cadre d’une grande réforme fiscale, d’autres impôts plus injustes peuvent être diminués. Je vous rappelle aussi que la CSG est un impôt proportionnel et ciblé, ses ressources vont à la protection sociale. Qui garantit que dans le cadre d’une fusion CSG-IRPP, il y aurait encore un fléchage sécurité sociale ?
Faut-il craindre ou encourager l’« ubérisation » de l’économie ?
Je comprends l’inquiétude – non pas la violence – des taxis menacés par une concurrence déloyale qui casse les prix. Il faut tenir compte de la digitalisation, évidemment. Mais si on laisse se développer des marchés totalement dérégulés et basés sur des formes de travail au noir, comment on finance la protection sociale ?
Le FN pourrait encore progresser aux régionales. FO est-il impacté par la montée de ce parti ?
On ne demande pas à nos adhérents ce qu’ils votent. Mais vu les résultats électoraux du FN auprès des salariés, on a certainement des militants là-dedans, bien sûr. L’important, c’est que ça n’influence pas les positions de l’organisation. Partout en Europe, ce type de mouvement de rejet de l’autre grimpe en situation de crise. En refusant de changer d’orientation économique, les exécutifs européens ont une part de responsabilité.
Par Ghislain de Violet @gdeviolet