Vous êtes vent debout contre le projet de loi El Khomri. Toucher au code du travail est-il un tabou pour FO ?
Jean-Claude Mailly, (secrétaire général de Force ouvrière) : Le problème n’est pas qu’il touche au code du travail : dans ce code, il y a pas mal de dispositions qui ont été introduites à la demande du patronat et pas des syndicats. Le problème est que le projet de loi vient totalement inverser la conception du droit du travail. Jusqu’à présent, il avait pour objet de sécuriser les salariés en garantissant à tous une égalité des droits. Demain, si ce texte est voté, il va sécuriser les patrons en fragilisant les salariés. Les exemples sont légions de cette inversion de logique. Prenons les accords dits de préservation ou développement de l’emploi. Si un salarié refuse, il ne sera pas licencié économique, comme on l’avait obtenu au Parlement sur les accords de maintien dans l’emploi, il sera licencié pour motif personnel, donc sans droit au reclassement. Sur le licenciement économique, le gouvernement prétend sécuriser la jurisprudence. C’est en partie faux. Le modèle maintenant, c’est l’Espagne ! Sur le temps de travail, les branches sont totalement court-circuitées. Et je ne parle pas de la rémunération des heures supplémentaires… Tout cela s’ajoute à la validation des accords par référendum, au plafonnement des dommages et intérêts en cas de licenciement abusif, au forfait jour dans les petites entreprises, ou encore à la réforme de la médecine du travail qui va faire qu’il n’y aura plus de visite médicale avant de travailler de nuit. Ce texte est inamendable.
Vous en demandez le retrait ?
Inamendable, ça veut dire qu’on est prêt à une bagarre et que nous demandons son rejet.
Tous les syndicats qui étaient réunis mardi soir ne partagent pas votre point de vue… Etes-vous prêt à composer ?
Force ouvrière ne participe pas systématiquement à des réunions intersyndicales, cela dépend du sujet, du contexte. Cette fois-ci, le sujet était assez grave et sérieux pour qu’on y aille. Je l’ai dit à Philippe Martinez la semaine dernière, quand il est venu à FO en discuter avec nous. A Force ouvrière, on pense qu’un dossier aussi important que celui-ci mérite une grève. Maintenant, nous abordons les discussions avec les autres syndicats avec un esprit ouvert. Nous sommes prêts à discuter d’une date de mobilisation dans la rue. Quant à se mettre d’accord sur un texte commun, c’est autre chose. Nous ne nous engagerons pas sur un texte a minima et quoi qu’il arrive, FO gardera sa liberté de comportement et d’analyse.
Qu’attendez-vous de la négociation sur l’Unédic ?
Le déficit augmente car quand le chômage augmente, les recettes du régime baissent et ses dépenses augmentent. Il ne faut pas être sorti de Polytechnique pour le comprendre. Cela dit, nous avons des pistes pour réduire ce déficit : un système de bonus malus par rapport à l’utilisation des contrats précaires à l’image de celui qui existe sur les accidents du travail, l’introduction d’une cotisation de solidarité au-dessus de 12.300 euros de salaire par mois et que l’État prenne en charge et non l’Unédic le surcoût d’un milliard qui lui est imposé depuis la création de Pôle emploi. On peut aussi revoir les règles de compensation pour les frontaliers. Et puis, je rappelle qu’une augmentation de 0,1 point de la cotisation chômage rapporte 500 millions d’euros.
Et la dégressivité, de nouveau évoquée par Manuel Valls ?
Je conseille au Premier ministre de se faire faire une note sur les mauvais résultats en termes de retour à l’emploi de la dégressivité instaurée dans les années 1990. Et puis on a déjà une sacrée dégressivité, à l’épuisement des droits à indemnisation, avec les minima sociaux. Quant à repousser le passage de cette durée à 36 mois de 50 à 55 ans, c’est inenvisageable : un tiers des seniors vont au bout de leur durée d’indemnisation. Cela rapporterait 500 millions euros. Il vaut mieux augmenter la cotisation. On est dans la logique de trouver un accord mais pas à n’importe quel prix.
Qu’espérez-vous du rendez-vous salarial dans la fonction publique ?
Même si on n’a pas avalisé tout ce qu’a fait Marylise Lebranchu, c’est une ministre qui pratiquait le dialogue social et a fait dans le budget contraint qui lui était imposé. Je ne sais pas quelle marge de manœuvre va avoir Annick Girardin, mais je n’ai pas l’impression qu’elle soit très différente. Je lui ai déjà rappelé qu’il faut prendre conscience de l’ampleur du malaise qui existe aujourd’hui dans la fonction publique et la nécessité d’avoir un débat sur ses missions et moyens.
Propos recueillis par Leïla de Comarmond