Interview les Echos : Emploi, retraites : l’appel de FO au gouvernement

Interview Frédéric Souillot

Dans une interview aux Echos, Frédéric Souillot, le secrétaire général de Force ouvrière, demande que l’exécutif propose aux partenaires sociaux de négocier sur la protection sociale collective, un véritable choix de société pour lequel ils ont toute légitimité. Propos recueillis par Leila de Comarmond et Alain Ruello.

S’il n’attend pas grand-chose de l’intervention d’Emmanuel Macron ce mardi soir, Frédéric Souillot n’a pas beaucoup plus d’espoir concernant le conclave retraites, voué à l’échec selon lui. Pour le secrétaire général de FO, une chose paraît certaine en revanche : le chômage va augmenter à partir de juin, quand, une fois leurs négociations terminées, tous les plans sociaux engagés vont se mettre en place.

Les Echos : Qu’en attendez-vous de l’intervention d’Emmanuel Macron ce mardi soir ?

Frédéric Souillot : Malheureusement, pas grand-chose. Ce que j’aurais aimé en attendre, c’est qu’on ait un exécutif et un président de la République qui prennent enfin conscience, mais il n’y arrivera pas, du rôle du social, du dialogue social, de la négociation collective, le choix de société qu’avait fait le Conseil national de la Résistance, dont on a fêté les 80 ans.

Les Echos : Avec Donald Trump, on assiste au retour en force du protectionnisme. Vous qui n’avez cessé de dénoncer la mondialisation, diriez-vous que c’est un mal pour un bien ?

Frédéric Souillot : Evidemment que non. Parce que cela a des conséquences sociales graves. En revanche, c’est un échec pour les ultralibéraux qui nous ont vendu une mondialisation heureuse irréversible. La situation actuelle rend plus que jamais essentielle la souveraineté industrielle et le patriotisme économique dont les employeurs ne font pas assez preuve.

Les Echos : Malgré la cascade de plans sociaux, l’emploi semble résister. En tout cas le chômage n’explose pas. Etes-vous inquiet pour la suite de l’année ?

Frédéric Souillot : Le produit intérieur brut a reculé à la fin du quatrième trimestre 2024 pour la première fois en dix ans. Attention à l’effet d’optique. Les plans sociaux annoncés ne sont pas encore mis en oeuvre. Ils ne le seront qu’une fois qu’ils auront été négociés, à partir de juin. Et il faudra y ajouter toutes les conséquences chez les sous-traitants, cotraitants et dans les petites entreprises.

Pourquoi la métallurgie vient-elle de négocier un accord d’activité partielle de longue durée rebond [prolongation de l’APLD Covid, NDLR] ? Notamment parce que l’industrie de défense attend ses commandes et pour conserver les compétences et les emplois pendant quelques semaines en espérant que ça reparte. Un emploi supprimé dans la métallurgie, c’est trois voire quatre autres touchés.

Les Echos : Si la situation s’aggrave, comme vous le craignez, qu’attendez-vous du gouvernement ?

Frédéric Souillot : J’aimerais qu’on passe à autre chose que de la communication sur la réindustrialisation. En avril, il y a eu plus de fermetures d’usines que d’ouvertures. Est-ce que le gouvernement serait capable de dire aujourd’hui « on arrête les licenciements », « on discute dans les conseils nationaux de l’industrie ou du commerce » pour travailler sérieusement à anticiper et préserver les entreprises et l’emploi des salariés par des formations ou des reconversions ?

Les Echos : Qu’entendez-vous par « on arrête les licenciements » ? Un moratoire ? Une interdiction ? Une taxation ?

Frédéric Souillot : Je dis que la première conditionnalité des aides publiques versées aux entreprises, c’est le maintien de l’emploi en France. Ces aides étaient prévues pour aider les entreprises face à la concurrence internationale. Au vu de notre balance commerciale, cela ne fonctionne pas ! Il faut aussi davantage de moyens à l’Inspection du travail pour qu’elle contrôle mieux les plans sociaux.

Les Echos : Donc ArcelorMittal, qui a annoncé 600 suppressions de postes, doit rembourser ses aides reçues ?

Frédéric Souillot : A partir du moment où ils mettent en place un plan de licenciement d’ampleur, ils doivent rembourser les aides. A FO, nous ne sommes pas opposés aux aides. La seule chose que l’on dit, c’est qu’il faut qu’elles soient conditionnées.

Les Echos : La négociation sur les reconversions professionnelles n’a toujours pas démarré. Pourquoi ?

Frédéric Souillot : Quand nous avons quitté le conclave retraites, j’ai écrit au Premier ministre pour lui demander que les partenaires sociaux se remettent autour de la table en repartant de l’accord qui n’avait pas abouti l’année dernière sur le pacte de la vie au travail, la formation professionnelle, les reconversions et les aménagements de fin de carrière. Catherine Vautrin et Astrid Panosyan-Bouvet nous ont fait leur retour il y a un mois. Ça a pris un peu plus de temps que prévu du fait de bisbilles au sein du patronat liées aux questions de représentativité.

Mais les discussions bilatérales entre organisations patronales et syndicales ont débuté et nous devrions arrêter un calendrier cette semaine. FO souhaite aboutir à un accord.

Les Echos : Une autre négociation, celle sur l’aménagement du bonus-malus sur les contrats courts, est censée se conclure le 27 mai. Le patronat veut l’élaguer au maximum et propose en échange une négociation sur les contrats courts. Qu’en pensez-vous ?

Frédéric Souillot : Si on écoute les organisations patronales, c’est une usine à gaz et ça ne donne rien. Mais nous tenons à ce que ce bonus-malus, créé dans le cadre de l’assurance-chômage, soit maintenu. Le retirer serait un échec pour nous. Qui plus est, nous pouvons très bien négocier sur les contrats courts et les temps partiels subis dans le cadre de la négociation sur les reconversions professionnelles.

Les Echos : Vous avez refusé de participer aux négociations sur les retraites. Pourtant, vous revendiquez une défense de la négociation collective. N’est-ce pas contradictoire ?

Frédéric Souillot : Ce n’est pas une négociation. Il faut se souvenir que la veille au soir de la première réunion sur les retraites, nous avons reçu un courrier du Premier ministre nous disant en substance : « Discuter de tout, mais surtout, il faut que vous gardiez l’équilibre financier. » Soit on nous laisse négocier, soit non.
Il n’y aura aucun résultat concret du conclave retraites. FO réclame toujours l’abrogation de la réforme.

Il y a de surcroît le format des discussions : la création d’une délégation permanente auprès du gouvernement, avec la transmission du résultat de ses discussions au Parlement sans garantie de la suite. Et le patronat a été clair en amont sur son refus de tout recul sur l’âge de départ à la retraite.

Et enfin, nous avions la certitude, confortée depuis, que ces discussions ne serviraient à rien ou tout au plus à proposer quelques légers aménagements de la réforme sans marge financière.

Les Echos : Est-ce que FO contestera le résultat du conclave sur les retraites quel qu’il soit ?

Frédéric Souillot : Il n’y aura aucun résultat concret du conclave. FO réclame toujours l’abrogation de la réforme. En fait, les discussions en cours servent pour chacun à jauger jusqu’où l’autre est prêt à avancer. Mais pour ça, il n’y a en réalité rien de mieux qu’une vraie négociation.

Gouvernance, financement… Mettons les interlocuteurs sociaux autour de la table pour négocier sur la protection sociale collective qui est un véritable choix de société et sur laquelle ils ont toute légitimité. A Force ouvrière, nous appelons le gouvernement à nous saisir de ce sujet, non pas dans l’urgence, mais pour construire un compromis social à long terme.

Les Echos : L’U2P a pris les devants sur le financement de la protection sociale en faisant il y a quelques jours des propositions précises. Qu’en pensez-vous ?

Frédéric Souillot : J’ai vu aussi que la CPME proposait la retraite par capitalisation. Certains voudraient faire la négociation avant la négociation pour peser sur le contenu de la lettre d’orientation que pourrait nous adresser le gouvernement. Je refuse de rentrer dans un tel jeu.

Les Echos : Mais tout de même, est-ce que l’idée de faire payer les retraités aisés, de faire payer les héritiers, n’est pas à creuser ?

Frédéric Souillot : C’est quoi un retraité aisé ? Pour François Hollande, c’était au-dessus de 2.500 euros de pension mensuelle, pour François Bayrou, c’est plus de 3.000 euros. Si c’est par ménage, ça va très vite, vous savez. Qu’on leur foute la paix. Quand on part en retraite, on connaît une chute de revenu importante et c’est cela qui doit être la boussole, tout comme l’aide qu’ils donnent à leurs enfants et à leurs petits-enfants.

Les Echos : Après vous, la CGT a quitté le conclave, la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC y sont toujours. En d’autres temps, on aurait eu des échanges de nom d’oiseau…

Frédéric Souillot : Depuis 2022, nous avons des contacts réguliers entre syndicats. Le gouvernement avait annoncé à l’époque une série de mesures censées régler les problèmes de pouvoir d’achat. Nous nous sommes mis, tous syndicats confondus, autour de la table et nous avons publié un premier communiqué commun le lendemain, qui a notamment posé l’exigence d’une conditionnalité des aides publiques aux entreprises.

Depuis, on n’a pas cessé de se parler. On n’est pas d’accord sur tout, on débat et puis, sur certains points, on s’accorde pour s’exprimer collectivement. Chacun pose ses limites dans un respect mutuel. Par exemple, pour nous, FO, les syndicats n’ont pas à prendre position sur le sociétal, donc quand on considère qu’on sort des revendications sociales, on ne signe pas.

Les Echos : Vous êtes candidat à votre succession au congrès qui aura lieu en avril 2026 à Dijon. La représentativité de Force ouvrière dans le privé a encore baissé. Ça n’est pas un très bon bilan…

Frédéric Souillot : Ces chiffres ne le montrent pas, mais nous sommes dans une dynamique de développement. Nous gagnons des adhérents. Cela dit, c’est vrai que nous avons perdu des voix aux élections de représentativité, même si c’est bien moins que les autres : 32.245 précisément.

Il faut savoir qu’un tiers provient des élections TPE où le taux de participation est passé sous les 5,5 %. C’est un problème qu’il va falloir traiter collectivement.

Pour le reste, on est en train de travailler à analyser finement les résultats, mais parmi les explications, il y a la réforme du dialogue social par les ordonnances Macron.

Les Echos : En quoi ?

Frédéric Souillot : Elle a éloigné les représentants des salariés en imposant des CSE centraux loin du terrain. Les élus sont transformés en hommes et femmes orchestres, qui doivent jouer à la fois du tambour, de la trompette et des cymbales. Ils doivent être à la fois sur les enjeux économiques, les conditions de travail et les problèmes personnels. Et certains ont tenté d’aller encore plus loin dans le cadre de la discussion sur le projet de loi de simplification. Heureusement, nous avons réussi à l’empêcher, mais cela ne suffit pas.

A lire sur https://www.lesechos.fr/economie-france/social/emploi-retraites-lappel-de-fo-au-gouvernement-2164708

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