Les salaires, premier sujet de négociation dans les branches en 2021

InFO militante par Thierry Bouvines, L’inFO militante

Hausses du Smic, mouvements sociaux sur le pouvoir d’achat, difficultés de recrutement des entreprises, les branches ont beaucoup négocié sur les salaires l’année dernière, selon le dernier bilan de la négociation collective publié par la Dares. FO a profité de la présence du ministre du Travail, Olivier Dussopt, à cette restitution, pour réaffirmer son attachement au paritarisme.

Une fois n’est pas coutume, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a assisté à la commission nationale de la négociation collective du 27 septembre consacrée au bilan de la négociation collective de 2021 réalisé par la Dares. La présence du ministre pendant toute la séance, ainsi que son propos, visaient à promouvoir le dialogue social comme une solution sur nombre de sujets, rapporte Karen Gournay, secrétaire confédérale FO en charge de la négociation collective et de la représentativité, présente à cette réunion.

Le bilan de la négociation collective est un rendez-vous annuel au cours duquel le directeur général du travail (DGT) fait le décompte, devant les partenaires sociaux —mais rarement devant le ministre en personne—, des accords signés dans les branches, les entreprises et au niveau interprofessionnel l’année précédente. L’occasion de vérifier le dynamisme de la négociation collective aux niveaux professionnel et local, où se fabrique désormais l’essentiel de la norme sociale.

Après le recul du nombre d’accords conclus en 2020 du fait de la crise sanitaire, l’année 2021 voit ce nombre repartir à la hausse, déclare Pierre Ramain, le DGT lors d’une conférence de presse qui se tenait le même jour. Dans les branches, 1 063 accords ont été conclus en 2021 contre 1 013 l’année précédente. Par ailleurs, six nouvelles conventions collectives ont été signées, conséquence du rapprochement de plusieurs branches. Des rapprochements prônés depuis plusieurs années par l’exécutif. Dans les entreprises, le nombre d’accords signés reste quasi stable : 97 420 en 2021 pour 96 520 en 2020.

Le dialogue est la règle, le gouvernement décide des exceptions

Cette vitalité de la négociation locale contraste avec les pratiques du gouvernement au niveau national. La restitution du 27 septembre tombait en effet à un moment où le gouvernement, qui depuis a lancé une concertation, semblait encore envisager de faire une réforme des retraites en portant un amendement au projet de loi de finance pour la Sécurité sociale, donc sans débat. Ce Faites ce que je dis, pas ce que je fais !, c’est C’est contradictoire avec la promotion du dialogue social, regrette Karen Gournay. Lors de cette réunion, Olivier Dussopt a précisé ce qu’il entendait par dialogue social. Le dialogue est la règle sur les questions relatives au travail —c’est en effet l’article 1 du code du travail— mais cette règle souffre une exception lorsque le gouvernement décide qu’il faut aller vite. Autrement dit, le rythme de la politique l’emporterait sur celui de la négociation, analyse la secrétaire confédérale.

La dernière réforme de l’Assurance chômage a été conduite de cette manière. Le décret de carence —qui fait suite à l’absence d’accord en 2019— expirant le 30 octobre prochain, le ministre du Travail a décidé de la prolongation des règles actuelles d’indemnisation via un texte législatif. A cet égard FO, attachée au paritarisme et à la pratique contractuelle, ne peut qu’exiger le retour à la négociation entre interlocuteurs sociaux dans le cadre du calendrier initialement prévu, déclare Force Ouvrière dans son propos liminaire à la séance du 27 septembre. Le gouvernement prévoit, lui, une phase de concertation d’environ deux mois avec les interlocuteurs sociaux, avant de décider, par décret, de la forme que prendra la modulation de l’Assurance chômage, qui entrerait en vigueur début 2023.

Les salaires, premier sujet de négociation dans les branches

En 2021, la négociation de branche a d’abord porté sur les salaires : 377 avenants salariaux ont été signés en 2021 pour 290 en 2020 (+ 30 %). Comment aurait-il pu en être autrement après le fort ralentissement de la négociation en 2020, qui a entraîné un rattrapage l’année suivante ; après les premiers conflits sur le pouvoir d’achat en 2021 ; et compte tenu des difficultés de recrutement dans certaines branches ?, analyse Karen Gournay. Le dynamisme de la négociation de branche sur les salaires s’explique par l’inflation, qui a démarré en 2021, estime pour sa part Pierre Ramain.

Notons que l’année 2021 a été marquée par deux hausses du Smic, justement pour suivre l’inflation. Or à chaque revalorisation du Smic, et malgré l’activité conventionnelle, des branches basculent en-dessous des minima légaux, constate Pierre Ramain. Afin de remettre leurs minima en conformité, plusieurs branches ont négocié des relèvements de salaire ; 154 accords de ce type ont été signés en 2021 contre 106 en 2020. Ces accords pourraient se multiplier dans les prochains mois, sous la double impulsion des hausses du Smic et de la loi pouvoir d’achat du 16 août 2022.

Karen Gournay rappelle en effet que cette loi réduit de trois mois à 45 jours le délai dont disposent les organisations patronales pour engager une négociation lorsque les minima de la branche sont inférieurs au Smic. La même loi renforce le pouvoir du gouvernement pour fusionner des branches dont l’activité conventionnelle est faible, notamment sur les salaires minimum.

En revanche, les entreprises ont moins négocié sur les salaires en 2021 qu’en 2020 et surtout qu’en 2019 (-2 points), en raison d’un effet conjoncturel de la prime pouvoir d’achat. Le nombre d’accords d’entreprise sur cette thématique baisse avec le conditionnement du versement de cette prime à la conclusion d’accords d’intéressement, expliquent les auteurs du bilan de la négociation collective. Par ailleurs, pendant la pandémie, les négociations ont particulièrement porté sur le temps de travail (16 800 accords) et sur les conditions de travail (8% des accords ; +3 points), dont le télétravail.

Délais d’extension des accords

Lors de ce bilan de la négociation collective, Pierre Ramain a également insisté sur les efforts de l’administration pour réduire les délais d’extension des accords de branche. Pour mémoire, sans extension, les accords de branche s’appliquent aux seules entreprises adhérentes des organisations patronales signataires. Le DGT a souligné que le délai moyen d’extension était passé de cinq mois à quatre mois, et même trois mois pour les accords sur les salaires. La loi pouvoir d’achat réduit ce délai à deux mois mais uniquement pour les accords sur les salaires, alors que nous aurions préféré que tous les accords soient concernés ; et à la condition que le Smic ait été augmenté deux fois au cours des 12 derniers mois, souligne Karen Gournay.

 

Le partage de la valeur sera négocié

Le gouvernement a fait parvenir aux interlocuteurs sociaux, le 16 septembre, un document d’orientation en vue d’une négociation interprofessionnelle sur le partage de la valeur au sein des entreprises. Il leur demande un retour d’ici au 1er novembre afin d’intégrer les mesures dans le prochain projet de loi de finances. Mais il leur laisse aussi la possibilité de proposer un autre délai si le premier est trop court. FO donne son accord de principe sur cette négociation mais pas sur les délais, déclare Karen Gournay, secrétaire confédérale FO en charge de la négociation collective et de la représentativité. Dans un courrier adressé à Olivier Dussopt le 27 septembre, la quasi-totalité des organisations syndicales et patronales apportent une réponse favorable à l’invitation du ministre mais demandent que l’échéance soit reportée au 31 janvier 2023.

Se pose ensuite la question du périmètre de la future négociation. Et c’est là que cela se complique. Dans son document d’orientation, le gouvernement veut que les organisations traitent de la participation et de l’intéressement ; de la prime de partage de la valeur ; de l’actionnariat salarié, mais il n’évoque pas les salaires. Or FO voudrait aussi parler des salaires, déclare Karen Gournay. Force ouvrière souhaiterait également que la conditionnalité des aides publiques soit au menu de cette négociation.

De son côté, le gouvernement propose une piste : ouvrir les dispositifs de partage de la valeur aux petites entreprises. Actuellement par exemple, la participation n’est obligatoire que dans celles employant plus de 50 salariés. Mais, il n’est pas certain que le patronat soit partant, estime Karen Gournay.

Thierry Bouvines

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération