Travailleurs des plateformes : des avancées en demi-teinte

InFO militante par Fanny Darcillon, L’inFO militante

© Thiago Prudêncio / SOPA Images/ZUMA/REA

Si elle permet d’avancer dans les discussions, pour FO, la proposition de directive du Conseil de l’Union européenne n’offre pas pour l’instant les conditions d’une réelle protection des travailleurs des plateformes

Après un an et demi de négociations ardues, le Conseil de l’Union européenne est parvenu mi-juin à un compromis entre ses États membres sur les règles de détermination du statut des travailleurs des plateformes. La proposition de directive, qui devra par la suite être discutée entre le Parlement européen, la Commission et le Conseil, vise à définir les circonstances dans lesquelles une présomption légale de salariat peut s’appliquer pour ces travailleurs. Car actuellement, le statut d’auto-entrepreneur -qui va de pair avec un grave manque de protection sociale et des conditions de travail dégradées-, masque bien souvent une réelle position de salarié. Vingt-deux États membres ont approuvé le texte, et cinq se sont abstenus (l’Estonie, l’Allemagne, la Grèce, la Lettonie et l’Espagne).

Pour FO, comme la Confédération européenne des syndicats (CES), qui se réjouit de voir avancer un processus qui traîne en longueur, il s’agit tout de même d’une avancée en demi-teinte. On reste bloqué sur la question d’un troisième statut, entre salarié et indépendant, que FO souhaite voir supprimé, expose Branislav Rugani, secrétaire confédéral du secteur international. Pour FO, la présomption de salariat doit s’appliquer pour tous les travailleurs des plateformes, assortie d’une procédure administrative permettant aux réels travailleurs indépendants d’accéder à leur véritable statut.

Un droit à l’emploi toujours pas assuré

En effet, la proposition du Conseil prévoit que la requalification des faux indépendants en salariés soit possible seulement si le contrôle que la plateforme exerce sur eux remplit au moins trois critères sur sept définis : déterminer un niveau ou un plafond de rémunération ; énoncer des exigences en matière d’apparence ou de conduite ; superviser le travail ou évaluer ses résultats ; limiter la liberté d’organiser son travail avec ses propres horaires ; restreindre la possibilité de refuser une tâche ; réduire la possibilité de faire appel à des sous-traitants ou des remplaçants ; et limiter la possibilité de se constituer une clientèle ou de travailler pour d’autres employeurs.

La CES regrette donc que le projet ne consacre pas un droit à l’emploi au sens plein pour les travailleurs des plateformes. La position du Conseil risque également de priver d’indépendance les travailleurs indépendants qui souhaitent conserver ce statut, prévient Ludovic Voet, secrétaire confédéral de la CES. La proposition de directive va en outre à l’encontre des positions de la Commission européenne et du Parlement, qui souhaitaient une protection plus étendue. Car l’enjeu est de taille : sur les 28 millions de personnes travaillant régulièrement via des plateformes en Europe, jusqu’à 5,5 millions pourraient être concernés par une requalification selon une étude de la Commission européenne.

L’État qui fait obstruction, c’est la France

Les dernières semaines de travail ont été consacrées, pour la présidence suédoise du Conseil de l’Europe, à trouver un accord sur les marges de manœuvres dont pourraient bénéficier les États membres pour déroger à cette présomption de salariat. L’État qui fait obstruction, c’est la France, dénonce Branislav Rugani. Fin 2022, j’ai rencontré le représentant permanent du gouvernement français à Bruxelles, et il était extrêmement fermé sur le sujet. Jamais nous n’arrivons à obtenir plus d’informations concernant les raisons pour lesquelles le gouvernement français est aussi obtus sur la question.

Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a ainsi cherché à faire valoir un supposé « modèle français » consistant à instaurer un cadre de dialogue social entre les plateformes et leurs travailleurs. Or, les luttes menées par FO en la matière témoignent du fait que ce modèle ne permet pourtant pas d’assurer des conditions de travail acceptables pour les livreurs, et qu’il est difficile d’organiser une circulation des informations satisfaisante tant la profession est atomisée, souvent sans lieu de rencontre et de discussion entre travailleurs.

La directive n’est pas près de voir le jour

Les États réfractaires à la présomption de salariat ont donc réussi à obtenir l’ajout d’une clause de dérogation pour les États membres au sein desquels les plateformes se conforment déjà à la loi et à des conventions collectives. Cette dérogation pourrait, selon la CES, aboutir à des failles permettant aux plateformes de contourner leurs obligations envers leurs travailleurs.

Autre sujet de contrariété : la clôture prochaine de la fenêtre législative favorable à ce débat. Branislav Rugani craint que les négociations cessent d’avancer jusqu’aux élections européennes de 2024. Les avancées françaises en matière de droits des travailleurs des plateformes suscitent malgré tout l’enthousiasme : FO a porté la voix des salariés de l’entreprise de livraison de repas JustEat afin de mettre en place un groupe de discussion en vue de la création d’un comité d’entreprise européen, qui serait le premier du genre au sein d’une plateforme numérique de travail. Branislav Rugani l’espère : Cette action va payer, et servir d’exemple pour les autres.

Fanny Darcillon

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération