Paris, le 6 mai 2014
Madame, Monsieur,
À l’approche des élections européennes, tout en restant dans notre rôle de liberté et d’indépendance conduisant notamment à ne pas donner de consignes de vote aux citoyens, nous tenons à rappeler certains éléments qui nous apparaissent fondamentaux au regard de la question européenne.
Depuis ses origines, Force Ouvrière a marqué son attachement à l’idée européenne, synonyme de paix et de progrès social et économique. Aujourd’hui, force est de constater que l’Europe est fréquemment perçue pour les travailleurs comme un danger, une opportunité de remise en cause des droits sociaux et un facteur de sanctions.
Cela est dû à plusieurs éléments :
– L’absence de débats dans notre pays sur la nature de la construction européenne, la nature réelle des transferts consentis ou acceptés des compétences sur le fonctionnement démocratique des institutions.
– La tendance à rendre « Bruxelles » responsable de tous les maux, alors que ce sont bien les pouvoirs publics nationaux (gouvernement et Parlement) qui ont validé ou accepté les différents traités dont le dernier en date, le TSCG, qui s’inscrit dans une logique économique mécanique et dogmatique, les rigidités économiques devant imposer les flexibilités sociales.
– Nous soulignons ainsi la conception économique libérale, voire anglo-saxonne de la construction européenne et l’influence dans cette logique de l’actuelle Commission européenne.
Globalement, au terme des traités successifs, nous avons aussi affaire à une Europe privilégiant ainsi la soi-disant libre concurrence issue des manuels d’économie néoclassique, au détriment de la liberté de négociation et des droits sociaux. Si l’Europe est devenue impopulaire, c’est parce qu’elle promeut des politiques restrictives qui participent à la déréglementation des droits sociaux et à la montée des inégalités.
Le déclenchement de la crise des dettes souveraines en Grèce fin 2010 a marqué un virage important, à la fois pour les économies européennes et pour les institutions qui les encadrent. Alors que les économies commençaient à peine à se redresser après la crise financière, cette nouvelle phase de la crise, qui a touché spécifiquement la zone euro, a motivé chez les dirigeants européens, dans la logique du pacte budgétaire, le parti pris systématique de l’austérité. Ces politiques sont toujours à l’œuvre, appliquées méthodiquement et simultanément dans tous les pays européens, avec des conséquences économiques et sociales dramatiques.
En contraignant à l’adoption de réformes structurelles visant à renforcer, par exemple, la compétitivité ou la flexibilité du marché du travail, ce nouveau cadre de gouvernance économique entérine le ralliement de l’Europe au néolibéralisme économique le plus dogmatique. C’est une véritable Europe des sanctions qui se met en place, aux antipodes de la conception sociale et démocratique d’une Europe de progrès.
Partout, les coupes budgétaires affectent les droits des travailleurs et la situation des plus vulnérables, l’ensemble de la protection sociale et les systèmes de négociation collective sont affaiblis. Il s’agit d’une opération systématique de démantèlement des modèles sociaux qui jusqu’ici avaient permis de contenir les inégalités sociales en Europe. De fait, les autorités publiques ont battu en retraite devant les marchés financiers.
Force Ouvrière a combattu activement les mesures d’austérité tout en revendiquant une politique de relance économique fondée sur la consommation, l’investissement, la création d’emplois et l’augmentation des salaires. L’action de Force Ouvrière en France et au sein de la Confédération européenne des syndicats (CES) a été constamment d’alerter sur la dégradation de la situation sociale et de revendiquer une véritable Europe du progrès social.
Construire l’Europe sociale et rejeter l’austérité, telle est donc la priorité de Force Ouvrière à la veille de ces élections européennes. Nous soutenons une réorientation de l’Union européenne et la construction d’une véritable Europe sociale disposant d’outils ambitieux pour mettre l’économique au service du social, ce qui passe dans l’immédiat par des droits sociaux hissés au niveau des libertés économiques et l’autonomie des négociations collectives.
– Pour sortir du cercle vicieux austérité/récession et remettre l’UE sur le chemin de la croissance et de la prospérité, la CES a proposé la mise en œuvre d’un plan de relance et d’investissement ambitieux au niveau européen, pour une croissance durable et des emplois de qualité. Ce plan, qui vise un montant d’investissement annuel de 2% du PIB européen, viendrait s’ajouter aux projets d’investissement nationaux. Ces investissements visent à la fois l’industrie et les services, la production d’énergie, une réduction de la dépendance énergétique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La formation et l’éducation, la recherche-développement, les infrastructures de transport, le logement, les services publics, la réindustrialisation de l’UE sont des domaines dans lesquels les investissements sont essentiels pour changer de cap et créer des emplois.
– La garantie que les libertés économiques ne peuvent avoir la priorité sur les droits sociaux fondamentaux. L’UE n’est pas seulement un projet économique, son principal objectif doit être l’amélioration des conditions de vie et de travail des populations. La notion fondamentale de progrès sociaux doit être confirmée à travers un « protocole de progrès social », joint aux traités.
– Le constat d’inexistence d’une véritable Europe sociale se vérifie aisément lorsque l’on
observe les écarts entre les niveaux de salaire dans les différents pays de l’UE. C’est pourquoi la revendication d’un salaire minimum européen, fixé à un niveau suffisant, dans le respect des pratiques nationales de négociation et de dialogue social, permettrait de concrétiser l’idée d’une Europe sociale ; une revendication nécessaire. Il s’agit de promouvoir une certaine conception de la valeur du travail et de la dignité du travailleur qui doit lui permettre d’assurer son existence autonome. Ce serait également un instrument de lutte contre les pratiques de dumping social et en faveur d’une plus grande harmonisation des conditions de travail.
– Des services publics de qualité accessibles à tous, comme prévu dans la Charte des droits fondamentaux.
– La démocratie en Europe doit être préservée et renforcée. Sous le prétexte de la crise, des initiatives antidémocratiques ont été mises en œuvre. La Troïka a ainsi imposé des mesures d’austérité particulièrement violentes dans plusieurs pays européens, sans aucun mandat inscrit dans la législation européenne. La « nouvelle gouvernance économique » a multiplié les dispositions contribuant à éloigner encore plus les institutions européennes de tout contrôle démocratique. L’absence de transparence sur le mandat confié par les États membres à la Commission pour mener la négociation sur le Traité transatlantique est révélatrice et inadmissible. L’UE et les États membres doivent scrupuleusement respecter et faire respecter les conventions de l’OIT et les normes fondamentales du travail.
De fait, la réorientation que nous revendiquons appelle une renégociation des différents traités, notamment depuis celui de Maastricht.
Fidèle à sa tradition d’indépendance, Force Ouvrière ne donnera aucune consigne de vote pour ce scrutin et continuera à appeler les salariés à rejeter l’austérité et à faire progresser l’Europe sociale.
Jean-Claude Mailly
Secrétaire général