Chez Atos, FO a fait rétablir en justice deux représentations de salariés

InFO militante par Elie Hiesse, L’inFO militante

© Pascal SITTLER/REA

Alors que le groupe informatique s’apprête à annoncer un plan de redressement, FO a réussi à faire rétablir en justice deux institutions représentatives du personnel – le comité européen et l’un des trois CSE français – qu’Atos a brutalement supprimées en 2021, privant les représentants du personnel d’informations sur les réorganisations en cours. Face aux résultats en chute, le syndicat a soutenu le droit d’alerte économique lancé par le CSE-central.

Alors que le groupe informatique Atos (11 000 salariés en France) compte présenter en mai un plan de redressement, après un exercice 2021 marqué par une perte de 2,9 milliards d’euros (pour un chiffre d’affaires de 10,84 milliards) et une dette nette quasi-doublée, ses tentatives pour s’extraire de ses obligations d’information régulière des représentants des salariés ont trouvé, sur leur chemin, un adversaire de taille. En l’espace de quatre mois, le syndicat FO, troisième organisation avec plus de 20 % de représentativité, est sorti deux fois victorieux des procédures engagées en justice en défense des droits et intérêts des salariés.

Donnant raison à FO, les tribunaux ont restauré les deux instances représentatives du personnel qu’Atos a brutalement supprimées en 2021 : le comité européen et l’un des quatre CSE (comité social et économique) français. Des procédures pleinement soutenues par la confédération et les fédérations FEC-FO et FO Métaux. Elles prennent tout leur sens, alors que le nouveau directeur général a confirmé vouloir se défaire d’activités représentant 20 % du chiffre d’affaires.

FO moteur de la contestation contre la suppression illégale du CSE3

Depuis le 11 avril, le CSE d’Atos Infogérance (dit CSE3) est de nouveau actif. Et c’est une très grande victoire pour Jean Fabre, délégué syndical FO d’Atos, qui a, entre autres, coordonné l’action intersyndicale contre la suppression illégale de cette instance. Décrétée unilatéralement par la direction, effective au 1er novembre dernier, cette décision a privé de représentation quelque 3 000 salariés (27 % des effectifs en France) pendant plus de cinq mois. L’automne dernier, le groupe informatique a pris prétexte d’une réorganisation juridique – visant à réduire le nombre de structures de 23 à 13 – pour simplifier son organisation sociale, faisant fi des accords d’entreprise sur lesquels celle-ci reposait en France.

Plus précisément, il a saisi l’occasion de l’absorption de sa filiale Atos Infogérance, par sa filiale Atos Intégration, pour annoncer la suppression du CSE d’Atos Infogérance. Ce faisant, la direction a supprimé 30 % des 700 mandats de représentants du personnel de l’UES Atos France (Union économique et sociale), charge aux institutions représentatives du personnel (IRP) restantes de représenter le même nombre de salariés, soit 11 000 salariés, avec 30 % de salariés élus ou désignés en moins, précise le militant FO. Sauf que les différents accords d’entreprise (interdépendants) définissant l’organisation sociale et le fonctionnement de l’UES Atos France prévoient trois CSE et un CSE-central sur la période 2019-2023. Les changements de périmètres juridiques ne remettent pas en cause la représentation sociale, actée par voie d’accords, martèle Jean Fabre.

Sous l’impulsion de FO, une intersyndicale s’est organisée, pour contester la suppression. Blocage de toutes les IRP pendant deux mois (dix instances ne se sont pas tenues), saisie de l’inspection du travail, de la Direction départementale du Travail (Ddeets), de la justice... Le 17 mars, le tribunal judiciaire de Cergy-Pontoise (Val d’Oise) a annulé la décision unilatérale d’Atos. La direction a aussitôt contre-attaqué, annonçant se pourvoir en cassation, mais elle serait revenue sur sa décision. Cet acharnement juridiquement serait incompréhensible, commente Lionel Bérenger, coordinateur de FO Atos. La décision de la cour de cassation interviendrait au mieux en 2023, autrement dit au moment de la renégociation de l’accord d’entreprise définissant l’organisation sociale. Pour autant, pointe Jean Fabre, la direction a pris son temps pour réactiver le CSE3 : un mois ! Elle a eu du mal à accepter la décision de justice.

Le comité européen également rétabli par la justice

S’il n’y avait que la suppression illégale du CSE3 français. Au niveau européen, le groupe Atos a aussi fait fi des bases légales organisant depuis 2012 le Conseil d’entreprise d’Atos SE. Il l’a purement et simplement supprimé en avril 2021, par une autre décision unilatérale, privant les 53 000 salariés européens de représentation. Et ce, alors que des négociations sur le fonctionnement de l’instance étaient en cours… Mais elles ne prenaient pas la tournure espérée par le groupe. Atos voulait décider à quel moment, et sur quel sujet, auraient lieu les informations-consultations du comité européen, ce qui revenait pour lui à s’en affranchir. Pour FO, c’était une ligne rouge, commente Sébastien Ducros, titulaire FO au Comité européen.

La Cour d’appel de Versailles a rappelé Atos à ses obligations, et l’a condamné en décembre à remettre en place, sans attendre, le comité européen, tant qu’un nouvel accord entre les parties n’a pas abouti. C’est chose faite depuis mars, et FO est signataire de l’accord.

De quoi redonner un cadre pour agir aux représentants des salariés européens. En supprimant pendant huit mois en 2021 le comité européen, Atos s’est soustrait à ses obligations d’informer les représentants des salariés des réorganisations en cours, alors qu’une vingtaine de projets impactant lourdement les conditions d’emploi et de travail ont été lancés... Nous en avons été informés par la presse, rappelle Sébastien Ducros. Pour le militant FO, la réorganisation transnationale des activités rend plus que jamais essentiel le bon fonctionnement du comité européen. Les informations données dans le cadre des IRP, dans les pays où elles existent, sont insuffisantes pour comprendre ce qui se joue. Il faut pouvoir les consolider, et les articuler, entre plusieurs pays. Seul le comité européen le permet, explique-t-il.

En France, un droit d’alerte économique lancé

Les craintes pour l’emploi sont importantes chez Atos France, tandis que le nouveau directeur général a confirmé vouloir se défaire d’activités représentant 20 % du chiffre d’affaires. Soit possiblement de plus de 2 000 salariés en France ! Ces annonces présagent d’importants mouvements de personnel, via des externalisations, des ventes de pans entiers d’activités, des délocalisations, précise Lionel Bérenger, coordinateur de FO Atos.

Si la direction annonce avoir prévu 2 500 recrutements en France en 2022, cela ne préjuge pas d’un maintien des effectifs, le turn-over frisant les 15 %. D’autant que, recruter dans certains secteurs n’exclut pas de se débarrasser de salariés trop vieux, ou trop chers. C’est ce que la direction appelle la juniorisation, poursuit le militant FO.

Dans ce contexte de réorganisation au pas de charge et de résultats en berne, FO a soutenu le droit d’alerte économique, lancé en mars, par le CSE-central. Les résultats de l’expertise sont attendus d’ici l’été. La stratégie d’Atos inquiète. Le coût des réorganisations en 2021 est équivalent à plus des trois-quarts de la marge opérationnelle [mesurant le rapport entre le résultat d’exploitation et le chiffres d’affaires, NDLR]. Cela montre combien ces réorganisations fragilisent le groupe. Sans compter que la direction refuse de donner une liste exhaustive des activités jugées non-stratégiques dont elle veut se débarrasser. Ce flou alimente les inquiétudes d’un grand nombre de salariés, précise Gaël Pradier, délégué syndical FO, membre du CSE-central.

L’exemple de DCH Bridge

Le sort réservé aux 212 salariés de DCH Bridge, première entité à avoir été concernée par une externalisation, n’est pas faite pour rassurer. Au prix d’une grève de trois semaines soutenue par FO en octobre dernier, inédite par son ampleur, ils ont obtenu le report de l’externalisation de leur activité (différée à mars, puis septembre 2022).

Cette externalisation n’était en fait qu’un plan social déguisé, rappelle Lionel Bérenger. Fin mars, nous n’avions de visibilité que sur la situation de 89 salariés, soit moins de la moitié d’entre eux. Parmi ceux-ci, la moitié avaient trouvé une solution, qu’ils se forment, se repositionnent sur de nouvelles missions ou décident de quitter le groupe. L’autre moitié restaient dans l’incertitude. Il n’est pas normal que la direction refuse, à ceux qui le souhaitent, l’accès aux formations longues qui leur permettraient de changer de métier au sein d’Atos. Elle ne peut les laisser sur un périmètre externalisable, sans leur proposer une alternative !, dénonce Michèle Lofong, coordinatrice adjointe FO du groupe. Le syndicat exige que les salariés le souhaitant puissent bénéficier de formations longues.

Emblématique, l’exemple de DCH Bridge permet de mesurer la menace que les réorganisations font peser sur le maintien de l’emploi dans un groupe qui fait aussi peu de cas de la nécessité d’un dialogue social constructif. FO a demandé à plusieurs reprises à rencontrer la direction ; elle n’a pas reçu de réponse.

Elie Hiesse Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération