Chez Ikéa, sans réponse salariale à la hauteur, la rentrée pourrait être mouvementée

Les articles de L’InFO militante par Chloé Bouvier, L’inFO militante

Mateusz Slodkowski/ZUMA-REA/ZUMA-REA

Une quarantaine de magasins Ikéa était concerné par un mouvement de grève le 20 juin. Pour la première fois en 10 ans, toutes les organisations syndicales, dont FO, ont appelé à une heure de débrayage qui s’est transformée sur certains sites en une grève massive. Les salariés exigent une augmentation générale des salaires, à hauteur de 6 % et fustigent la proposition de la direction qui entend s’en tenir à 4 %. À la suite de ce mouvement, FO appelle à tenir après la période estivale de nouvelles réunions sur la question des salaires, sous peine d’une rentrée socialement mouvementée dans l’entreprise.

De Mulhouse à Brest, de Paris à Nice en passant par Marseille et Tours. Le 20 juin, c’est une mobilisation nationale qui a concernée Ikéa. Près de 40 magasins de l’enseigne suédoise ont été touchés par la grève. Pour les salariés, l’objectif était de marquer les esprits en montrant au grand jour l’exigence d’amélioration des salaires mais aussi des conditions de travail. Une mobilisation historique car, pour la première fois depuis dix ans, l’ensemble des organisations syndicales représentatives ont appelé à un débrayage d’une heure, lequel s’est parfois transformé en grève de plusieurs heures sur certains sites.

En Île-de-France, une centaine de salariés se sont rassemblés à Plaisir (78) devant le siège social de l’enseigne, raconte Sébastien Heim, délégué syndical central FO. Nous n’avons pas le taux de grévistes au niveau national, puisque la direction refuse de nous transmettre cette information. Mais dans chaque magasin mobilisé, on comptait au moins une soixantaine de grévistes, ajoute-t-il. À Nice, où le mouvement a été particulièrement suivi, 70 % des salariés étaient en grève, et le taux monte jusqu’à 95 % pour le secteur logistique, souligne Fatia Mehenni, déléguée syndicale FO dans le magasin. Pour les militants, ces chiffres de la mobilisation marquent un mécontentement global.

Échec des NAO

Et ce mécontentement est avant tout salarial. C’est d’ailleurs l’échec des négociations annuelles obligatoires (NAO) qui a motivé les organisations syndicales, dont FO, à initier cette grève. Nous avions demandé une augmentation de 8 % pour tous les salariés, explique Sébastien Heim. Force Ouvrière demandait également une revalorisation de la grille, sur les minima, cela pour redonner une cohérence à la grille et améliorer l’attractivité de nos métiers. Or, la réponse de la direction est loin d’être suffisante avec seulement 4% d’augmentation. Les organisations syndicales demandent alors une mesure générale à hauteur de 6 %, mais se heurtent à un nouveau refus. La direction refuse d’aller au-dessus de ces 4 %, se désole le militant.

Pourtant, une hausse de 4 %, ce n’est même pas au niveau de la hausse du Smic ! (de l’ensemble des revalorisations automatiques depuis 2022, ndlr), s’indigne Fatia Mehenni. Comment se satisfaire d’une pareille proposition alors que l’inflation a dépassé les 6 % ?, sur un an ces derniers mois. À Nice, où le niveau du coût de la de vie rejoint celui de la capitale, les salariés ne peuvent compter que sur les majorations des dimanches travaillés pour adoucir leurs fins de mois. Chaque semaine, la déléguée syndicale est interpellée par ses collègues évoquant leurs difficultés de pouvoir d’achat : Avoir un travail, même en CDI à temps plein, ça ne permet plus de vivre. Au milieu du mois, on tire la langue et on compte chaque sous...

Le ruissellement n’existe pas du tout ici

Un rapport d’expertise publié en 2022 montrait une perte du pouvoir d’achat pour les salariés d’Ikéa, et ce sur l’ensemble des échelons. Comment ne pas s’indigner alors qu’à la fin du mois de mai 2023, l’enseigne a dégagé 240 millions d’euros de profits nets, s’exclame Sébastien Heim. Et quand on sait que 189 millions d’euros de dividendes ont été versés ? Que Ikéa marche bien, c’est une bonne nouvelle. Mais il y a un gros problème de redistribution des bénéfices au sein de l’enseigne. Le ruissellement n’existe pas du tout ici.

Une situation qui reflète bien celle de l’ensemble de la branche où aucun accord salarial n’a été trouvé depuis octobre dernier, souligne David Malézieux, secrétaire adjoint de la section fédérale Commerce de la Fec-FO. Le patronat refuse d’aligner les salaires sur l’inflation. Pourtant, il augmente les prix de vente des produits justement pour faire face à cette même inflation. Au sein de l’enseigne suédoise, les prix ont ainsi augmenté de 27 % cette année.

Pour Force Ouvrière, il n’est pas question d’abandonner la lutte et le syndicat FO Ikea exige que des discussions sur les salaires se tiennent à la rentrée. Nous demandons aussi à avancer les prochaines NAO, précise Sébastien Heim qui met en garde. Si la direction refuse de nous écouter, nous allons aller vers une rentrée de mobilisation.

Polyvalence exigée

Car le conflit va au-delà de la question des salaires. Le mécontentement porte aussi sur les conditions de travail. Le système est en 6/4, autrement dit, les salariés travaillent une semaine pendant six jours, la semaine suivante, quatre jours. C’est un rythme épuisant contre lequel FO se bat depuis maintenant plusieurs années, relate Sébastien Heim.

Surtout, la direction exige des travailleurs qu’ils soient polyvalents. C’est de la polyvalence sauvage, on se retrouve à jouer les bouche-trous dans divers services, témoigne Fatia Mehenni. Sur une journée, on peut nous demander d’occuper quatre postes différents. Dans ces situations, il est impossible de se former pour conseiller au mieux les clients : un vendeur spécialisé textile peut être envoyé à la vaisselle pour une heure, puis aux plantes pour l’heure d’après, cite la déléguée syndicale de Nice.

Des impacts sur la santé des salariés

Une exigence de polyvalence qui va de pair avec un contexte de diminution des effectifs : La direction demande aux salariés de faire de plus en plus de choses parce qu’ils sont de moins en moins, schématise David Malézieux. Dernière innovation en date ? La suppression des caisses avec tapis. Celle-ci a déjà été mise en place au magasin de Plaisir. Je suis sûr et certain que cela va être généralisé s’inquiète Sébastien Heim. Lorsque je suis arrivé à Ikea, dans les années 2000, on comptait 100 caissiers dans le magasin. Aujourd’hui, il y en a 30.

Cette polyvalence n’est pas sans danger pour la santé des salariés : on voit se multiplier les arrêts de travail, chez Ikéa, d’ailleurs comme dans d’autres enseignes, tel But ou Conforama, témoigne David Malézieux. À cela s’ajoute dans certains magasins, entre autres celui de Nice, un management qui obéit à la seule logique du chiffre. Les gens ne se sentent pas considérés. Si la direction continue à refuser de prendre en compte ses salariés, il y aura d’autres mobilisations, c’est sûr tranche Fatia Mehenni.

Chloé Bouvier

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération