Le 31 janvier, interviewée sur BFM/RMC la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarité, Catherine Vautrin, revenait sur les propos de Gabriel Attal ayant annoncé, la veille, une prochaine réforme sur les « bas salaires » pour une « desmicardisation » de la France. Selon la Dares, en 2023, 17,3% des salariés percevaient le Smic (qui n’a reçu aucun coup de pouce depuis douze ans) contre 12% en 2021. Non, le salaire minimum ne sera pas supprimé indiquait la ministre, expliquant sans jamais utiliser le mot « salaire » : La volonté aujourd’hui, c’est de permettre à nos concitoyens de progresser. Qui n’a pas envie, dès lors qu’il travaille, de voir son revenu progresser ? Le sujet est d’aider à montrer que le travail génère du revenu
.
Cette progression
évoquée du « revenu » passerait-elle par l’augmentation du salaire brut ? Serait-ce, suite à la conférence sociale du 16 octobre, la concrétisation, enfin, d’une pression mise par l’exécutif sur les branches ? Alors que trente-quatre d’entre elles affichaient encore (en décembre) des minima sous le Smic, dans l’ensemble des branches, les grilles, faute de revalorisation, sont de plus en plus tassées. Ce qui à chaque augmentation automatique du salaire minimum rapproche les salariés juste au-dessus de ce niveau d’une Smicardisation. Gabriel Attal, sans détailler, dit n’exclure aucune mesure
pour amener les branches à rehausser leur minima actuellement sous le Smic. Catherine Vautrin évoquait elle le 31 janvier 2024, une disposition européenne qui transposée en droit français, deviendrait un outil de contrôle des branches… En 2026.
La « progression » prônée du revenu signifierait-elle que l’exécutif entend remettre en vigueur, ainsi que le demande FO, l’échelle mobile des salaires, soit le dispositif (né en 1952 et stoppé en 1983) consiste à les indexer à l’inflation et y compris à chaque niveau de la grille ? Rien n’est évoqué. Et plus largement, l’exécutif semble se garder de faire référence au « salaire brut », élément cependant incontournable puisque c’est par son augmentation que se traduit une véritable revalorisation salariale.
Les salariés le savent bien, eux qui constatent que les revalorisations actuelles, quand elles ont lieu, n’ont rien de satisfaisant, qui plus est face à une inflation forte depuis deux ans. Dans les entreprises, en 2023, les hausses de salaires n’ont pas été pour la plupart à la hauteur de l’inflation. Et selon les études de cabinets de conseils liés aux entreprises, les revalorisations de 2024 seraient moindres. Une entreprise sur quatre avait attribué des augmentations salariales supérieures à 5% en 2023 alors qu’elles ne sont plus que 10% à prévoir d’attribuer des augmentations salariales moyennes aussi significatives en 2024
indique l’un d’eux. Le 10 février, la Dares annonçait quant à elle que le salaire moyen de base (salaire brut, hors primes et heures supplémentaires) avait augmenté en moyenne de 3,8% sur un an (de décembre 2022 à décembre 2023). En 2023, l’inflation annuelle s’est établie à 4,9% selon l’Insee…
Amoindrir encore le salaire différé ?
Pour le gouvernement, la
décodait FO le 30 janvier. La ministre du Travail explique en effet qu’il s’agirait de desmicardisation
(…) ne signifie pas augmentation générale des rémunérations, ni remise en place de l’échelle mobile des salairesregarder quelles sont ces charges (...) qui quelque part viennent immédiatement retirer l’effet net (des) augmentations de salaire
des personnes au Smic. Et pour les autres celles et ceux qui sont juste au-dessus, regarder si l’enveloppe annoncée (par le président de la République, Ndlr) de 2 milliards d’euros
peut permettre une baisse d’impôts pour cette catégorie
. Des personnes aux revenus entre 1 500 et 2 500 euros selon Emmanuel Macron. Au-delà du flou des propos, il n’est donc nullement question d’évoquer de vraies hausses de salaires. Par ailleurs, les cotisations sociales, soit le salaire différé, qui financent en grande partie le système de protection sociale sont assimilées à des « charges » ! Cela remet aussi dans la lumière les propos du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, qui à l’automne, disant déplorer aussi la « Smicardisation » des salariés en France expliquait vouloir œuvrer à réduire l’écart entre le salaire net et le brut. On peut comprendre, notamment en amoindrissant les cotisations, afin de gonfler le salaire net, voire en agissant sur les éléments fiscalisés.
Gabriel Attal annonçant une réforme à venir des aides à l’occasion du projet de loi de finances pour 2025, pointe quant à lui le fait de concentrer nos aides, nos exonérations, au niveau du Smic
. Actuellement, par la principale mesure d’exonération, la réduction générale de cotisations est totale au niveau du Smic puis dégressive jusqu’à 1,6 Smic. Les cotisations maladies (bandeau maladie) font l’objet d’exonérations jusqu’à 2,5 Smic, les cotisations familiales (bandeau famille) jusqu’à 3,5 Smic.
Le gouvernement souligne le découragement des patrons à accorder des augmentations substantielles (du salaire brut) permettant au salarié de décoller du Smic. Car plus on s’éloigne du Smic, plus les aides diminuent, ce qui fait augmenter le « coût du travail », notion qui s’invite depuis près de quarante ans dans toutes les discussions salariales. L’effet de seuils, induit par les modalités d’octroi de ces exonérations, fortes au niveau du Smic, serait en somme le seul responsable de la stagnation des salariés au Smic ? En 1993, « l’allègement du coût du travail » au niveau du Smic, mesurable par le taux d’exonération en pourcentage du Smic, était de 5%. Il est actuellement de 39,8% à 40,2%, selon la taille de l’entreprise. Le Premier ministre ne remet aucunement en cause le principe même des exonérations. Elles qui ont représenté près de 74 milliards d’euros de manque à gagner pour les comptes publics en 2022.
Une attaque en règle du Smic ?
Le gouvernement envisage-t-il toutefois de réduire l’ampleur des aides ? Et/ou envisage-t-il d’adoucir la pente de la dégressivité des exonérations ? Ou encore d’agir sur le Smic et ses modalités de revalorisation ? Pour l’instant, rien n’est dit. Mais depuis des mois, des économistes et des parlementaires planchent sur ces sujets, entre autres celui des exonérations. Ainsi depuis novembre, deux économistes, Antoine Bozio et Etienne Wasmer, travaillent à un rapport – qui sera remis en juin au gouvernement qui l’a commandé – sur le thème des interactions entre les aides (exonérations et primes d’activité) et leurs seuils, les salaires, l’emploi et le coût du travail.
A l’automne dernier, le rapport transpartisan de deux députés, Marc Ferracci et Jérôme Guedj, avait lui fait grand bruit à l’Assemblée dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement pour la sécurité sociale (adopté à coups de 49.3). Ces parlementaires prônaient la suppression du « bandeau famille » sur les salaires entre 2,5 et 3,5 Smic. Au grand dam du Medef. La proposition a été écartée par le gouvernement au bénéfice d’une autre, plus limitée, exposée par Marc Ferracci, seul : le gel du montant des seuils de salaires ouvrant droit aux exonérations sur les bandeaux famille et maladie.
Ce même député – de la majorité gouvernementale–, qui étudie actuellement des modalités de réforme du marché du travail en vue d’une loi Macron II, pointe la revalorisation automatique du Smic, indexée à l’inflation. En janvier dernier, en amont du discours du Premier ministre, il indiquait, qu’elle peut s’avérer trop lourde pour les entreprises
, et proposait une solution radicale : une revalorisation du Smic déterminée par la négociation. Avec tout ce que cela peut avoir d’aléatoire eu égard à la frilosité patronale en matière d’augmentation des salaires ! Le 30 janvier, réagissant au discours de politique générale de Gabriel Attal, la confédération indiquait Quand le Premier ministre dit
.desmicardisation
, cela sous-entend la remise en question du Smic et de ses règles de revalorisation