La place de la Sorbonne, au cœur du quartier latin, était noire de monde. Mais ce jeudi 7 mars, les enseignants de l’école publique ont remplacé les étudiants de l’université. Venus nombreux, du département de Seine-Saint-Denis, ils ont manifesté jusqu’au ministère de l’Éducation nationale. Depuis la rentrée scolaire des vacances d’hiver, le 26 février, les enseignants sont largement mobilisés pour dénoncer les conditions scolaires. L’intersyndicale, à laquelle participe le Syndicat national FO des lycées et collèges (SNFOLC), revendique un « plan d’urgence » pour le département.
FO apporte de la nuance : l’urgence, elle est dans tous les départements
, souligne Alain Gluckstein, secrétaire départemental du SNFOLC. Des assemblées générales ont en effet lieu aussi bien dans l’académie de Versailles, que celles de Paris ou de Lyon. Cependant, il faut reconnaître que la Seine-Saint-Denis cumule les problèmes : entre les bâtiments vétustes, le manque de moyens d’enseignement, les élèves en difficultés et allophones… Toutes les problématiques que connaît l’Education nationale sont exacerbées chez nous.
Des collègues remontés à bloc, mobilisés et déterminés
La manifestation du 7 mars marque le point d’orgue d’un mouvement qui s’inscrit sur le long terme. On voit des collègues remontés à bloc, mobilisés et déterminés
, indique Arnaud Albarede, secrétaire académique du SNFOLC Créteil. Durant ces 10 jours de mobilisation, les enseignants, CPE et AED ont été rejoints par leurs élèves et les familles. Et tous étaient présents dans le cortège. Beaucoup brandissaient des pancartes dénonçant la mise en place des groupes de niveau, annoncée en décembre dernier par Gabriel Attal, alors ministre de l’Education.
C’est cette réforme chaotique
qui a poussé Carole Chapé, enseignante d’Arts plastiques dans un collège de Drancy, à rejoindre la manifestation. C’est une hérésie, ce choc des savoirs
, s’indigne-t-elle drapeau FO en main. « Pédagogiquement, c’est un non-sens, et en plus, les moyens alloués aux établissements sont bien insuffisants pour mettre en place des groupes
, explique la professeure en citant la DHG de son collège. On va devoir rogner sur les options et les demi-groupes dans les autres matières. L’année prochaine, ces groupes vont être étendus aux 4e et 3e, pour les financer, on risque d’aller rogner sur les matières artistiques...
Les groupes de niveau : un projet inégalitaire et injuste
Concernée par ces groupes de niveau, Anne, enseignante de Français dans un collège de Montreuil, stigmatise un projet inégalitaire et injuste envers mes élèves
. Cela va intensifier les difficultés de ceux qui ont déjà des fragilités. Actuellement, dans les classes hétérogènes, ils bénéficient d’un collectif qui favorise leur apprentissage.
Décidée dans la foulée des résultats de Pisa, ces groupes de niveau ont été annoncés sans concertation avec les professionnels de l’Éducation nationale. C’est une grande violence pour notre métier !
, s’indigne l’enseignante.
D’autant que pour certains établissements, la totalité des élèves ont des difficultés
, pointe le secrétaire départemental du SNFOLC. C’est le collège entier qui sera un groupe de niveau. D’où le sentiment de relégation très fort dans notre département.
Les militants FO déplorent une politique du tri social
, comme Marc, membre du bureau du SNFOLC 93 et qui enseigne la philosophie au lycée Louise Michel de Bobigny. Il y a eu Parcoursup et la réforme du lycée. Maintenant les groupes de niveau… Tout forme un ensemble cohérent, celui d’une école publique qui trie socialement ses élèves.
Manque de professeurs, mais pas seulement
Mais la mobilisation dépasse la question du projet du choc des savoirs
. L’intersyndicale revendique 5 000 postes d’enseignants supplémentaires pour les établissements dyonisiens. Notamment pour pallier les absences non remplacées qui impactent la scolarité des élèves. Une de mes collègues m’a parlé d’une de ses classes de 6e qui n’avait plus de professeur de Français depuis novembre. Ce sont ces élèves-là que l’on mettra dans le groupe de niveau faible. Le ministère joue le pompier pyromane
, s’indigne Alain Gluckstein.
En résumé, ce sont « les adultes », et quels que soient les postes, qui manquent dans les établissements du département. Ainsi, selon l’intersyndicale, il manque 3 000 emplois pour la vie scolaire. Sans compter les postes du médico-social,
Des bâtiments insalubres
Autres revendications des manifestants : celles liées aux bâtiments scolaires. Nos écoles, collèges et lycées sont vétustes
, dénonce Arnaud. Anne hoche vigoureusement la tête avant de se lancer dans une vaste énumération : il manque des sanitaires pour les élèves, quant aux salles, l’acoustique laisse à désirer. Tout comme l’isolation : lorsque l’on met les radiateurs en marche, les salles deviennent des saunas
.
Une énumération qui va plus loin pour Marc. Depuis avril 2023, nous avons enfin eu un nouveau bâtiment puisque nous étions passé de 700 à 1 200 élèves ces dernières années.
Mais l’ancien reste dans un état lamentable : les stores sont cassés, et de nombreux ordinateurs sont en panne. Mais c’est à la cantine que c’est le plus visible : cette semaine, les frigos sont tombés en panne. À cause des fuites, une partie de la cuisine est inondée...
Ce 7 mars, à l’approche de la rue de Grenelle, ceux qui font le plus de bruit ce sont encore des élèves. Ils ont du souffle
, sourit leur professeur. Ensemble, les lycéens hurlent et chantent. Sur leurs pancartes, les revendications ne manquent pas. SNU et Uniforme on n’en veut pas
. La contestation dans l’Education nationale ne faiblit pas. Pour Arnaud Albarede, Cette journée, ce n’est que le début
.