Si Amélie Oudéa-Castera, ministre de l’Éducation nationale, n’était pas présente lors de la manifestation parisienne ce jeudi 1er février, son nom était pourtant sur toutes les pancartes dans le long cortège de 10 000 personnels de toute le ministère, enseignants et non-enseignants, rassemblées pour défendre l’école publique. Et pas pour lui rendre hommage. A Paris, à Marseille ou encore Rouen, c’est une colère qui vient de loin
, soulignait ainsi Hervé, enseignant de Maths dans un collège de Versailles et venu pour exprimer un ras-le-bol général
.
Revaloriser le point d’indice, une urgence
Les revendications sont très nombreuses, martelait Clément Poullet, le secrétaire général de la FNEC FP FO. En premier lieu, il y a la question des conditions de travail et de rémunération. Les salaires sont en berne et le pouvoir d’achat des enseignants, mais aussi de toute la communauté éducative s’en ressent.
Et de citer notamment les AESH, maintenues dans la précarité et sans statut, des personnels qui étaient déjà dans la rue le 25 janvier pour exiger l’abandon de l’acte 2 de l’école inclusive. Rencontré dans le cortège, c’est aussi la question des salaires qui anime Nicolas, professeur des écoles dans le Puy-de-Dôme. On estime dans la Fonction publique à 27,5 % la baisse du pouvoir d’achat des agents depuis 2000, cela par la perte de valeur du point d’indice. C’est l’augmentation du point d’indice que nous exigeons ! Pour tous les agents de la Fonction publique et surtout sans contrepartie.
Et cela fait pour le moins écho chez les enseignants auxquels le ministère de l’Education nationale a imposé le Pacte qui consiste pour ces personnels à accepter des missions supplémentaires pour, selon l’affichage, obtenir ainsi une rémunération supérieure. Le gouvernement a menti en présentant ce Pacte et d’autres primes comme une revalorisation. C’est faux ! Ce que l’on demande c’est l’augmentation immédiate du point d’indice à hauteur de 10 % et l’ouverture d’une négociation pour revalorisation digne de ce nom
, appuie le militant. Sur le terrain, ce pacte s’est mis en place avec moins que plus de succès
, explique Agnès Anderson, secrétaire nationale de ID-FO, syndicat FO des personnels de direction. La militante, proviseure de lycée marche derrière la grande banderole du syndicat. Et puis donnez-moi un synonyme de pacte ! Contrat, tout à fait. Les mots ont toujours un sens...
Dans la Fonction publique, il est question de « Statut » et non de « contrat » comme voudrait l’imposer ce Pacte.
Postes supprimés et conditions de travail dégradés
Ce 1er février, à Paris, ils sont nombreux aussi à évoquer la dégradation de leurs conditions de travail année après année. Être devant les élèves est de plus en plus compliqué avec les classes surchargées, les annonces ministérielles qui se succèdent et se contredisent, le manque d’enseignants et plus généralement d’adultes dans les établissements… C’est devenu difficile de faire son métier et de transmettre les connaissances aux élèves
, déplore Ophélie du SNFOLC Val d’Oise. L’enseignante d’Italien en lycée souligne que cette situation est hélas loin d’être inédite : Chaque année, les budgets d’austérité grignotent un peu plus les moyens.
Elle et son collègue Nicolas évoquent les suppressions de postes. Au niveau national, ce sont 650 postes qui seront supprimés dans les écoles pour la rentrée. Or, dans certains départements, il manque des centaines de prof’ et des classes ferment.
Et il n’y a pas que les postes d’enseignants qui viennent à manquer. Aucune création de postes n’est prévue au niveau des personnels administratifs, ni pour ceux du social ou du médical
, s’emporte Clément Poullet. Dans le cortège, Ana, est venue manifester avec ses collègues de FO Hauts-de-Seine. C’est ma première manifestation
, souffle l’assistante sociale qui a le sentiment que le service public va craquer d’un moment à un autre
. Elle pointe le manque d’effectifs des assistants et assistantes sociales. Si on ne parle jamais de nous, c’est peut-être parce que nous sommes invisibles et trop peu. Mais ce manque de personnels a un impact sur les élèves. On se retrouve à prioriser les urgences ! Et ce sont eux qui en payent le prix.
Du chamboule-tout et toujours sans moyens
Par leur participation massive à cette journée nationale d’actions, les enseignants des collèges montrent leur opposition à la nouvelle notion de « choc des savoirs », et ses modalités, annoncée par le Premier ministre, Gabriel Attal. Parmi les mesures annoncées par l’ancien locataire de Grenelle, la création de groupes de niveau pour les Maths et le Français dont la mise en place se fera dès la rentrée 2024 pour les 6e et les 5e, puis en septembre 2025 pour les 4e et 3e. Ainsi, les élèves d’une même classe suivront ensemble tous les autres cours mais ils seront séparés selon leur niveau pour les cours de Français et de Mathématiques, mélangés avec les élèves d’autres classes. Or, le principe même de ces groupes interroge : Cela risque de stigmatiser encore plus les élèves qui sont déjà fragiles, c’est leur mettre un peu plus la tête sous l’eau
, se désole Christine, membre du SNFOLC Val d’Oise et professeur de Français en collège. Dans son établissement, le collège Léonard de Vinci à Bouffémont, on a sorti les calculatrices. Pour mettre en place ces trois groupes de niveau, en Maths, il manque 2 enseignants. En Français, cela revient à absorber 3h supplémentaires. Et comment recruter suffisamment d’enseignants pour cette mesure alors que le métier est touché par une grave crise d’attractivité ?!
À côté de Christine, son amie Gwenaëlle, enseignante d’Arts plastique au lycée, s’inquiète d’une autre annonce concernant le collège. Lors de sa conférence de presse du 16 janvier, Emmanuel Macron a déclaré souhaiter que le théâtre devienne un passage obligatoire au collège dès la rentrée prochaine
. On est tous d’accord pour que les enfants fassent du théâtre au collège, mais pas si cela implique la suppression d’autres enseignements artistiques
, souligne l’enseignante. Un projet de texte présenté au Conseil supérieur de l’Education précise que cela se ferait à moyens constants
. Cela signifie que pour le théâtre, on va enlever les heures d’Arts plastiques et d’Education musicale, ou en tout cas les diminuer…
résument les militants. Selon ce même projet de texte, les personnes chargées de ces initiations au théâtre seront extérieures à l’éducation nationale, et donc contractuelles ou prestataires. Cela risque de diminuer notre vivier de postes. Avec la réforme du lycée, un élève qui a des cours d’Arts plastique ou de Musique au lycée va pouvoir prendre l’enseignement en option ou en spécialités. Or, si ces enseignements diminuent au collège, ce sont les postes qui risquent de disparaître au lycée...
À école publique, fonds publics. À école privée, fonds privés
Le 1er février, c’est plus largement pour défendre une école publique et républicaine que les militants FO ont manifesté. Et d’autant plus en ayant pris connaissance de récents propos de la nouvelle ministre. Les enseignants du public montrent qu’ils sont là et fiers de leur école publique
, clame haut et fort Ophélie, l’enseignante d’Italien. Agnès Anderson de ID-FO rappelle, elle, la motion votée par son syndicat lors du congrès de Rouen : Les fonds publics aux écoles privées doivent être conditionnés aux principes de la République, dont la laïcité. Et on l’a vu avec le cas de Stanislas, ce n’est pas le cas actuellement
. La proviseure et d’autres militants reprennent en chœur le slogan résumant le principe à lui tout seul : À école publique, fonds publics. À école privée, fonds privés
. Pour Clément Poullet, il faut abroger la loi Debré qui prévoit le financement des écoles privées par l’État ! C’est la position de FO depuis le serment de Vincennes de 1960,
Dans le cortège, on fait part de son inquiétude pour l’école publique, fragilisée par des années d’une politique qui la prive de moyens, au risque d’en détruire ses assises mêmes. Si elle marche avec un drapeau du Snetaa-FO pour protester contre la réforme des lycées professionnels, Delphine, PLP de Lettres-anglais, manifeste aussi contre toutes ces réformes qui visent à détruire le service public de l’école pour faire prospérer le privé ! On le voit dans les lycées professionnels avec l’alternance : de plus en plus, nos élèves sont formés dans les entreprises et ont de moins en moins de formations visant à faire d’eux des travailleurs et des citoyens éclairés !
Les militants fustigent ainsi les choix politiques et budgétaires. L’enseignement privé est l’un des budgets de l’État qui a le plus augmenté. C’est cette question de moyens, d’argent, qui fait que le bât blesse. D’ailleurs l’argent, on le trouve pour le privé, pour le SNU (Service national universel) ou encore pour la mise en place d’uniformes ! Mais quand on parle des enjeux de l’école publique, là on nous dit qu’il n’y a pas de sous !
tranche Ophélie, du SNOFLC. Emmanuel Macron dit que
, abonde Agnès Anderson de ID-FO.L’école est une bataille
, alors qu’il fasse le choix politique de mettre les moyens nécessaires pour cette bataille en créant un vrai service public de qualité
Mobilisés pour créer un rapport de force
Les personnels recherchent les moyens de l’action efficace pour gagner
, souligne la FNEC FP FO dans un communiqué publié au lendemain de la mobilisation. Mais quelles que soient les modalités qui seront décidées pour faire suite à cette journée de grève et de manifestations, Amélie Oudéa-Castera nous trouvera sur son chemin. À chaque fois qu’il sera nécessaire
, prévient Clément Poullet.
Il nous faut à présent aider les personnels à aller le plus loin possible dans la création d’un rapport de force dans ce contexte où le gouvernement est sous pressions multiples. Il va falloir mettre à l’ordre du jour des prochaines AG la question de la grève efficace pour gagner la bataille !
Et la FNEC FP FO soutiendra toutes les initiatives prises pour la satisfaction des revendications, qu’il s’agisse de reconductions de la grève, du blocage d’écoles, ou encore de rassemblements.