États-Unis : sans véritable système de santé face à la pandémie

Coronavirus / Covid19 par Evelyne Salamero

John Marshall Mantel/ZUMA Press/ZUMA/REA

Plus de 27 millions d’Américains n’ont encore à ce jour aucune assurance maladie, soit 8,5 % de la population. Une proportion qui a très fortement diminué depuis l’adoption de l’Obamacare en 2010, mais une proportion encore beaucoup trop élevée. Au pays où les assurances privées font toujours la loi, et où les soins et médicaments sont tellement chers que les dépenses de santé sont plus élevées que dans n’importe quel autre pays riche, la pandémie met un coup de projecteur tragique sur les inégalités qui y sévissent et sur les conséquences de l’absence d’un véritable système de santé collectif.

Triste record en ce moment pour la ville de New York. À elle seule, la ville qui ne dort jamais, capitale économique de la côte Est des États-Unis compte plus de contaminations que n’importe quel autre pays au monde. Quelque 170 000 cas y étaient recensés au 11 avril. Le chiffre annoncé pour les décès dus au Covid-19 (10 367 au 14 avril) est très certainement en deçà de la réalité, beaucoup de gens décédés chez eux n’étant pas comptabilisés, reconnaissait le maire de New York, Bill de Blasio, la semaine dernière.

Avec 8,4 millions d’habitants, et plus de 26 000 habitants au km2 (contre 7 800 à Los Angeles et 12 700 à Chicago), New York City est la ville la plus peuplée, et la plus dense, des États-Unis (pour comparaison, Paris compte quelque 21 000 habitants par km2).

La population noire particulièrement touchée

Les quartiers les plus pauvres (Brooklyn, le Bronx, le Queen), où les habitants sont entassés dans des logements bien souvent insalubres (pour ceux qui en ont un), sont les plus touchés. La population noire l’est tout particulièrement.

La situation aujourd’hui à New York met impitoyablement en lumière les inégalités pré-existantes dans cette ville et plus largement, à des degrés divers, dans tous les États-Unis. Et elle met tout aussi cruellement en lumière les failles du système de santé et de protection sociale du seul pays industrialisé à ne pas posséder de régime universel de sécurité sociale.

Le Covid-19 tue les Afro-Américains « de façon disproportionnée » dans plusieurs régions des États-Unis, s’alarment depuis plusieurs jours de nombreux responsables au vu de statistiques publiées par différents États. Dans l’Illinois, au 7 avril, 42 % des contaminés décédés étaient afro-américains alors qu’ils représentent 14 % de la population de cet État. Ils représentent plus de 70 % des morts à Chicago, la plus grande ville de l’État, alors qu’ils représentent moins d’un tiers des habitants. En Caroline du Nord, plus de 30 % des morts sont des Afro-Américains. En Louisiane, où se trouve La Nouvelle-Orléans, seulement 33 % des habitants sont afro-américains mais 70 % des morts le sont.

Environ 15 % des Américains sont considérés comme pauvres, selon les statistiques officielles. Mais le pourcentage est bien plus élevé chez les Noirs américains : environ 25 %. Les données de santé vont dans le même sens. Le taux de mortalité infantile (avant l’âge d’un an), qui est un très bon indicateur d’une médecine curative et préventive, est de 11 pour 1 000 chez les Noirs, contre 4,7 pour les Blancs., rappelle l’historien Pap Ndiaye, enseignant et chercheur à Sciences Po Paris, spécialiste de l’histoire sociale des États-Unis, dans une interview accordée à Ouest France. Le Covid arrive sur ce terrain défavorable, qui magnifie les inégalités, comme une loupe. C’est historiquement vrai des grandes épidémies, comme la grippe espagnole il y a un siècle, qui faucha prioritairement les plus pauvres., rappelle-t-il.

Celui qui perd son emploi perd son assurance santé

Les Noirs sont les plus touchés parce qu’ils sont les plus nombreux à être en situation de pauvreté et de précarité. Et aux États-Unis, les pauvres et les précaires, en plus de leurs mauvaises conditions de vie, sont confrontés à l’absence d’un système de santé et d’assurance maladie universel, alors que les prix des médicaments, des consultations et des soins hospitaliers sont plus élevés que partout ailleurs. Selon l’OCDE, le coût de la santé représente aux États-Unis un investissement de 10 600 dollars par personne, soit en moyenne deux fois plus que dans les pays européens.
Ici, pas de sécurité sociale à la française. Cette “Sécu“ encore essentiellement financée par les cotisations, malgré les attaques dont la suppression des cotisations des salariés à l’Assurance maladie en janvier 2018. Cette “Sécu“ qui, notamment, finance les hôpitaux publics et privés.

Les citoyens américains ne disposent pas davantage d’un système de santé public généralisé, tel le National Health Service (NHS) du Royaume-Uni. Ce « service national de santé », essentiellement financé par l’impôt, qui fournit à tous une médecine générale et hospitalière de base quasiment gratuitement.

Outre-Atlantique, avoir ou ne pas avoir de couverture santé dépend essentiellement des compagnies d’assurance privées et des entreprises. Ces dernières contractent des contrats d’assurance pour couvrir leurs salariés. Détenir une assurance maladie est donc totalement lié au contrat de travail. En d’autres termes, si un salarié perd son emploi, il perd du même coup son assurance maladie.

Pas de droit généralisé à l’arrêt maladie payé

De plus, le niveau de couverture est variable en fonction des moyens des entreprises et de ce que l’organisation syndicale a réussi à obtenir (dans les entreprises où elle est présente, sachant que le droit syndical aux États-Unis est beaucoup plus restrictif qu’en France, par exemple).
Les Américains n’ont pas non plus systématiquement droit au congé maladie payé, excepté si leur entreprise a les moyens et la volonté de les en faire bénéficier, ou, là encore, si le rapport de force entre syndicats et employeurs a permis de l’imposer.

Les programmes fédéraux Medicare et Medicaid ne couvrent qu’une faible partie de la population

S’il existe tout de même deux systèmes d’assurance maladie financés par l’impôt et les cotisations sociales, créés par le gouvernement fédéral en 1965, ceux-ci ne couvrent que très partiellement la population.

Pour les personnes de plus de 65 ans ou handicapées, le programme Medicare prend en charge une assurance hospitalisation obligatoire, financée par les cotisations des salariés et des employeurs, ainsi qu’une assurance médicale complémentaire facultative et payante, financée par l’État et les cotisations versées par les affiliés.

L’autre programme, Medicaid, couvre les personnes à bas revenus. Il est financé conjointement par les États et l’État fédéral, et les conditions d’éligibilité pour en bénéficier peuvent donc varier d’un endroit du territoire à l’autre.

Encore 27, 5 millions d’Américains sans assurance maladie en 2018

Environ 27,5 millions d’Américains n’avaient aucune assurance maladie en 2018, soit environ 8,3 % de la population. Ils étaient toutefois beaucoup plus nombreux avant 2010 (près de 47 millions, soit environ 15 % de la population américaine d’alors). Cette année-là fut promulguée la loi sur la protection des patients et les soins abordables (Patient Protection and Affordable Care Act), loi mieux connue sous le titre d’Obamacare, du nom de celui qui l’a portée, le président Barack Obama.

Sans changer fondamentalement le système, l’Act a obligé la plupart des particuliers à contracter une assurance auprès des compagnies privées et les entreprises de plus de 50 salariés à faire de même pour leurs salariés, sous peine de se voir infliger des sanctions financières. Des subventions ont été accordées par l’État fédéral pour aider les familles aux plus bas revenus à payer leur assurance.

L’Act a aussi interdit aux assureurs de refuser de couvrir des personnes en raison de leurs antécédents médicaux. Il a également permis l’extension de la couverture Medicaid pour les plus démunis. Mais à l’heure actuelle, quatorze des cinquante États américains refusent toujours d’appliquer cette extension.

L’Obamacare affaibli par l’administration Trump

De plus, la loi a été affaiblie sous les coups de boutoir du président Trump et de son administration. Certes le nouveau président américain a échoué en 2017 à la faire abroger par décret, puis a dû reporter sa propre réforme à après les élections parlementaires et présidentielles de novembre 2020, en cas de victoire des Républicains.

En attendant, l’administration Trump a d’ores et déjà supprimé l’obligation faite aux particuliers de s’assurer et aux entreprises d’assurer leurs salariés. La proportion des citoyens américains sans assurance a ainsi recommencé à augmenter à partir de 2018, passant à 8,5 % contre 7,9 % un an auparavant.

Généraliser Medicare et étendre Medicaid ?

C’est dans ce contexte qu’avant même le début de l’épidémie le débat sur le système de santé est revenu sur le devant de la scène, à la faveur des primaires démocrates en vue des élections présidentielles de novembre prochain. La question a été posée de la généralisation de Medicare, le programme actuellement réservé aux seniors de plus de 65 ans et financé par les cotisations.

La confédération syndicale américaine, l’AFL-CIO, a émis la crainte que cette généralisation ne se traduise par un nivellement par le bas pour les salariés des entreprises où les syndicats ont obtenu une couverture élevée.

Du côté des politiques, le débat semble clos aujourd’hui, le seul candidat démocrate encore en lice ayant déclaré être totalement opposé à un « Medicare for all » (Medicare pour tous).

Toutefois, sous le coup de la pandémie, d’autres voix s’élèvent pour poursuivre l’extension du programme public Medicaid, destiné aux plus démunis, comme en Floride ou au Texas où, malgré l’Obamacare, cela n’a pas encore été fait.

Cela suffirait-il pour faire face ? Un constat peut en faire douter : sous les effets de la pandémie, la situation devient très critique dans des États qui, eux, ont accepté depuis plusieurs années d’élargir le champ des bénéficiaires de Medicaid, comme le Michigan, la Louisiane et l’Illinois.

Face à la pandémie, des mesures d’urgence

En attendant un changement de fond du système de santé américain et alors qu’autour de vingt millions de salariés ont perdu leur emploi depuis la mi-mars, le président Donald Trump et son administration n’ont pas pu faire moins que de finir par répondre à un certain nombre de revendications de l’AFL-CIO, posées dès le début de la crise sanitaire.

Le gouvernement américain a ainsi créé un congé maladie payé (de 2 à 12 semaines maximum) pour les salariés des entreprises de moins de 500 salariés, atteint du Covid-19 ou devant garder leurs enfants.

Autre mesure d’urgence : les salariés licenciés pour des motifs liés à la pandémie peuvent continuer à bénéficier de l’assurance santé de leur entreprise pour une durée limitée dans le temps.

Enfin, un grand nombre d’Américains vont recevoir une indemnité exceptionnelle pendant quatre mois de 1 200 dollars (1 100 euros) par mois et par adulte et 500 dollars (460 euros) par enfant à charge. Une mesure qui s’apparente fortement à un revenu universel temporaire.

À New York, 20 000 lits d’hôpitaux pour 8 millions d’habitants

L’AFL-CIO a aussi, dès le 24 mars, lancé l’alerte sur l’insuffisance de lits dans les hôpitaux, appelant le gouvernement fédéral à « fournir rapidement des ressources pour augmenter les capacités » du système de santé, sachant que la majorité des hôpitaux américains sont gérés par des groupes privés et que les quelques centres hospitaliers publics ont subi de sévères cures d’austérité budgétaire ces dernières années.

Avant la crise, nous avions une capacitéé de 20 000 lits d’hôpital. En quelques jours il nous faut tripler ce chiffre, par tous les moyens, résumait de son côté un porte-parole de la ville de New York… Vingt mille lits pour plus de huit millions d’habitants. L’Assistance publique des Hôpitaux de Paris en compte environ 20 000 elle aussi, mais pour un peu plus de deux millions d’habitants et ses établissements ont déjà énormément de mal à faire face. Comment s’étonner que la pandémie frappe encore plus mortellement qu’ailleurs de l’autre côté de l’Atlantique ?

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante