International : Entretien avec Han DongFang, militant chinois et Sebastian Devaraj, militant indien

Les articles de L’InFO militante par Sandra Déraillot, L’inFO militante

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Des organisations de défense des travailleurs de pays du Sud s’associent pour mieux faire valoir leurs droits. Le China Labour Bulletin et le Syndicat des travailleurs des industries textiles du Karnataka (KOOGU) forment les syndicats indiens à la négociation collective. Parmi les stratégies qu’ils mettent en place, ils demandent le soutien des pays où leurs productions seront finalement vendues. Han DongFang, chinois et Sebastian Devaraj, indien, étaient récemment en visite à la confédération, à Paris, accompagnés d’Yves Veyrier, ancien secrétaire général de la confédération. Ils se sont entretenus avec le secrétaire général de FO, Frédéric Souillot. Rencontre avec deux militants internationaux, amis de longue date de FO.

Faire avancer la négociation collective et le droit des travailleurs

Peu avant que soit célébré le triste 10e anniversaire de la catastrophe du Rana Plaza, deux militants chinois et indien sont venus rendre visite à quelques organisations européennes. Han DongFang et Sebastian Devaraj ont rencontré les responsables du CCFD, du collectif De l’éthique sur l’étiquette, de la FIDH qui soutiennent une campagne en faveur de la garantie des droits des travailleurs dans la chaîne de sous-traitance. Nous sommes venus voir ce qu’il est possible de faire auprès des entreprises françaises qui font fabriquer leurs vêtements dans nos pays en sous-traitance pour que les droits de nos travailleurs soient respectés.

Han DongFang est un ancien cheminot chinois exilé à Hong Kong depuis 1993. Après avoir participé aux manifestations de Tien an Men, il a été emprisonné de longues années, puis a dû passer quelques temps aux États-Unis pour se faire soigner. Interdit de retour dans son pays, il crée dans l’ancienne colonie britannique le China Labour Bulletin, organisation qui vise à améliorer des conditions de travail via la négociation collective, même si la liberté d’association n’existe pas dans le pays. Via son émission sur Radio Free Asia il collecte des témoignages sur le monde du travail chinois et diffuse ses éditoriaux en faveur de l’action syndicale. Ce travail lui a permis de constituer un réseau de chercheurs, juristes en droit du travail et activistes du syndicalisme en Chine.

Le droit syndical indien peu appliqué

En 2015, il rencontre en Inde Sebastian Devaraj, alors coordinateur de Fedina (Foundation for Educational Innovations in Asia). L’organisation indienne sensibilise travailleurs et patrons au droit du travail, par le biais de formations. Elle aide également les travailleurs à négocier de meilleures conditions de travail et de rémunération, et impulse la création de syndicats. En Inde beaucoup de choses concernant le droit des travailleurs sont inscrites dans la loi mais elles ne sont pas appliquées et la justice a très peu de pouvoir, précise Sebastian. A titre d’exemple, alors que le droit syndical est reconnu, à peine 2 % des travailleurs sont syndiqués et dans la population, les syndicats sont vus comme quasiment illégaux.

Les deux organisations décident de s’associer pour prodiguer des formations dans des usines de Bangalore et améliorer les capacités de négociation collective. Nous avons tout intérêt à développer la solidarité entre les travailleurs de nos pays, puisque les marques multinationales cherchent toujours le fabricant le moins cher et nous mettent en compétition sur ce plan, explique Han DongFang.

Des mobilisations s’appuyant sur les recours légaux et les marques

Et le travail conjoint porte ses fruits. Même si en 2018, une mobilisation des travailleurs de Shahi, Bangalore, travaillant notamment pour la marque Columbia Sportswear, a bien failli s’achever dans le sang. Des syndicalistes qui revendiquaient un accès à l’eau potable durant les journées de travail, des moyens de transports pour accéder à leurs usines et une modeste augmentation ont été agressés et poussés à démissionner. Ils n’ont cependant pas interrompu leur mobilisation, forts de leur bon droit et bravant leur peur. Et ils ont impliqué la marque cliente dans le conflit, organisant une action symbolique à New York sur le campus de Columbia, avec le soutien de l’organisation américaine Workers Rights Consortium. Les marques craignent vraiment pour leur image, observe Han DongFang. Cette manifestation et un rapport d’enquête mené par WRC a attiré l’attention des médias et finalement déclenché l’ouverture de négociations chez Shahi.

L’année suivante ce sont les travailleurs de Texport Apparels qui se mettent en grève contre le comportement de leur manager, accusé d’agression verbale et physique envers une ouvrière qui refusait de répondre à certains ordres. Une attitude qui n’était que l’épisode le plus visible des méthodes de harcèlement utilisées par la direction de l’entreprise. Utilisant la même tactique que pour Shahi, les représentants syndicaux ont d’abord déposé plainte auprès des autorités locales puis alerté les marques clientes, principalement Vans et Nautica, qui ont lancé des enquêtes.

C’est la stratégie que China Labour Bulletin et Fedina/Koogu tentent de reproduire avec les multinationales Decathlon ou H&M en France. En effet depuis 2017, le pays est doté d’une loi sur le devoir de vigilance des multinationales. Ce texte impose aux entreprises françaises ou présentes dans l’Hexagone d’identifier et prévenir les risques d’atteintes aux droits humains, à l’environnement et aux libertés fondamentales que peut causer leur activité, celle de leurs filiales et de leurs sous-traitants et fournisseurs, en France comme à l’étranger.

Responsabiliser les multinationales

Nos syndicats ont rencontré les patrons indiens, mais ceux-ci disent qu’ils ne peuvent pas augmenter les salaires car ce sont les clients qui décident des prix, explique Sebastian Devaraj qui intervient désormais comme président honoraire Karnataka Garment Workers Union (KOOGU). Alors tout naturellement nous nous sommes dit que nous devions venir voir en France comment faire pression sur ces groupes multinationaux tels que Décathlon ou H&M. Les deux militants n’ont à ce jour pas obtenu de réponse de Decathlon. H&M en revanche nous a indiqué qu’une augmentation de salaire était prise en compte chaque année dans l’augmentation de leur prix d’achat, rapporte Sebastian Devaraj. Donc, quelqu’un ment...

Force Ouvrière soutient de longue date, et notamment par son action au sein de l’OIT, la nécessité d’une responsabilisation des donneurs d’ordre impliqués dans le cadre des chaînes de valeur dans les processus de sous-traitance et d’externalisation en cascade de la production industrielle. La confédération soutient le renforcement du projet de directive européenne sur un devoir de vigilance des entreprises ainsi que la proposition aux Nations Unies de projet d’instrument juridiquement contraignant sur les entreprises, via sa représentation au sein de la Confédération européenne des syndicats et la Confédération syndicale internationale.

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Sandra Déraillot Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération

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