Interview de Catelene Passchier : « Les outils contre le déficit de travail décent dans les chaînes d’approvisionnement sont insuffisants »

International par Evelyne Salamero

Catelene Passchier, vice-présidente du syndicat néerlandais FNV. © Sebastiaan ter Burg - CC BY 2.0

Comment garantir les droits des travailleurs dans la myriade d’entreprises sous-traitantes des multinationales ? Catelene Passchier, porte-parole sur cette question du groupe des travailleurs à l’OIT (Organisation internationale du travail), fait le point.

L’OIT a consacré une des commissions de sa conférence annuelle à la question du travail décent dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. C’est une première ?
Catelene Passchier : Il s’agissait en effet d’ouvrir la discussion. Cela a été fait dans le cadre de ce que l’on appelle une « discussion générale », c’est-à-dire qu’à cette étape elle ne portait pas sur l’élaboration d’un outil normatif concret, convention ou recommandation. Il s’agissait plutôt de fixer un programme d’action de l’OIT et de ses trois composantes (les organisations des travailleurs, celles des employeurs et les gouvernements).


Quel est l’objectif du groupe des travailleurs ?
Catelene Passchier : Les représentants des travailleurs sont convaincus que les outils existants, comme les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme, sont utiles mais insuffisants pour lutter contre le déficit de travail décent dans les chaînes d’approvisionnement. Ils considèrent qu’il faut prendre des mesures plus contraignantes et exécutoires pour garantir que les entreprises, en particulier les grandes marques et les entreprises dominantes, prennent davantage leurs responsabilités et que l’on puisse leur demander des comptes.


Comment ont réagi les employeurs ?
Catelene Passchier : Ils refusaient d’admettre que le système des chaînes d’approvisionnement a des effets secondaires négatifs à grande échelle et de nature systémique, avec des entreprises dirigeantes qui profitent délibérément de salaires très bas et d’un manque de protection des travailleurs dans des pays où les gouvernements et la réglementation du travail sont faibles. Bien sûr, dans un premier temps ils ont refusé d’ouvrir la porte à de possibles normes (comme une convention) sur les chaînes d’approvisionnement.


Comment cela s’est-il terminé ?
Catelene Passchier : Nous avons pu, avec le soutien de gouvernements, exercer une forte pression sur les employeurs et nous avons fini par trouver un accord sur un plan d’action ambitieux qui inclut, entre autres choses, la possibilité d’une nouvelle discussion sur des mesures plus contraignantes et de nouvelles normes. Nous estimons également positif que la question de la protection des droits fondamentaux des travailleurs dans les zones franches d’exportation ait été prise en compte, ainsi que celle de la promotion du dialogue social transfrontalier, par exemple dans le cadre d’accords-cadres internationaux. 


Propos recueillis par Evelyne Salamero


Focus : Des « travailleurs cachés »
Selon un rapport de la CSI (Confédération syndicale internationale), cinquante des plus grandes sociétés au monde n’emploient directement que 6 % des travailleurs de leurs chaînes d’approvisionnement. L’OIT estime que le nombre d’emplois y a augmenté, passant de 295 millions en 1995 à 453 millions en 2013, ce qui représente plus d’un cinquième de la population active mondiale. Très souvent cette main-d’œuvre sous-traitante se compose de « travailleurs cachés », c’est-à-dire non déclarés par leurs employeurs et ne bénéficiant donc d’aucun droit ni d’aucune protection sociale.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante

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