L’intelligence artificielle : l’agent public nouvelle génération ?

InFO militante par Valérie Forgeront, L’inFO militante

L’intelligence artificielle (IA) fait son entrée dans les services publics et en parallèle, l’exécutif prône depuis quelques temps la nécessité d’une administration proche des usagers et capable de répondre en un quart de tour à leurs demandes. Outil intéressant, l’IA a cependant de quoi porter les agents à la vigilance, d’autant que les suppressions d’emplois, déjà enregistrées et décidées au nom de la réduction des dépenses publiques, sont bien réelles. Zoom sur le secteur des Finances publiques où FO-DGFIP interroge l’administration sur l’avenir des missions et des emplois.

En avril 2022, le président de la République, Emmanuel Macron, demandait une action publique beaucoup plus proche des citoyens, avec des administrations et des agents sur le terrain et dans les services déconcentrés. Cela comprenait des agents polyvalents, capables de renseigner les usagers sur toutes les démarches, avoir un numéro de téléphone unique du service public pour répondre à toutes les questions et accompagner sur toutes les démarches et les difficultés rencontrées. Les progrès de l’IA sont arrivés à point nommé… Dans les services publics volontaires, 1 réponse sur 2 est facilitée par l’IA et le temps de réponse moyen est passé de 7 jours à 3 jours. Tel était en décembre le bilan de deux mois de de l’expérimentation d’usage d’une IA générative dans les services publics lancée par l’ex ministère de la Transformation et de la Fonction publiques (il n’y a plus pour l’instant de ministère de plein exercice), cela pour la rédaction des réponses aux avis et commentaires en ligne d’usagers.

A en croire alors le ministère 70% des agents ont un ressenti positif de l’utilisation de l’outil. 74% des usagers se disent satisfait de la réponse apportée. Tout irait donc pour le mieux par l’utilisation de cette nouvelle technologie géniale, dont ChatGPT, que la Fonction publique vise d’ailleurs à étendre, pour ne pas dire à généraliser, dans ses services. En parallèle indiquait le ministère la DINUM [soit l’incubateur IA animé par la direction interministérielle du numérique, Ndlr] développe un outil d’IA générative, souverain, libre et ouvert, créé par et pour des agents publics, nommé Albert. Celui-ci propose des réponses personnalisées, la transparence des sources, une facilité d’accès pour toutes les administrations. Et dans les prochains mois, l’intuitif Albert va être déployé dans le réseau France services auprès de conseillers France services volontaires. Il s’agit d’un réseau de « Maisons » qui au fil des années a pris le pas sur les implantations de pleine compétence, notamment à la DGFIP (finances publiques), via la réforme Nouveau réseau de proximité lancée en 2018 par Gérald Darmanin.

94 000 agents de la DGFiP ont failli s’étrangler !

Des décombres encore fumants de ces 1 109 trésoreries municipales ont émergé quelques 500 Services de Gestion Comptables (SGC) censés être la vitrine du NRP (Nouveau Réseau de proximité). Or, ces SGC remplaçant intégralement les trésoreries supprimées sonnent le glas de toute relation personnalisée et fructueuse entre l‘usager, l’élu et son comptable, prônent la massification des tâches au prétexte de professionnalisation et astreignent les agents moins nombreux à une taylorisation d’un autre âge. Il faut ajouter la suppression de 2/3 des services de publicité foncière, la réduction de 40% du nombre de Services des impôts des entreprises et de Services des impôts des particuliers. Le tout en 5 ans. Telle est la réaction du syndicat FO-DGFIP aux propos tenus par Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse. Le président de la République déclarait : Lors de mon premier quinquennat, nous avons beaucoup fait : on a recréé des préfectures, on a réouvert des trésoreries sur le terrain. Pour le syndicat FO : 94 000 agents de la DGFiP ont failli s’étrangler !

L’IA doit rester au service des agents, pas les remplacer

Dans cette administration, en manque de moyens et mise dans la tourmente perpétuelle des destructions de services – au nom de l’abaissement drastique des dépenses publiques en vue d’une résorption rapide du déficit public –, l’arrivée de l’intelligence artificielle interroge d’autant plus. Quel sera l’impact de l’IA sur les missions ? Quelles conséquences sur les emplois ? demandait ainsi en septembre dernier le syndicat FO à son administration. Et s’il souligne qu’il n’y a pas de rejet de l’IA en tant qu’outil, il précise que celui-ci doit rester au service des agents, pas les remplacer. Pas gagné. FO-DGFIP note ainsi que l’expérience tirée du passé montre que les Directeurs généraux ont souvent profité du déploiement de grosses applications informatiques pour gager des suppressions d’emploi, voire les anticiper avant même qu’une application soit stabilisée. Et plus largement, le syndicat a de quoi se monter très vigilant vis-vis de la politique qui sera menée par l’administration en matière d’intelligence artificielle.

En octobre, lors du congrès de de la Fédération FO Finances, FO-DGFIP rappelait en effet les suppressions d’emplois massives dans le périmètre de cette administration des Finances publiques : 26 000 suppressions en douze ans ou encore un tiers des effectifs supprimés en 25 ans ainsi que la moitié des implantations supprimées s’indignait son secrétaire général Olivier Brunel. Chaque année cette direction est particulièrement visée par les suppressions d’emplois dans le cadre des lois de finances. C’est ainsi la seule administration en 2024 à avoir un schéma d’emplois négatif avec notamment 600 emplois supprimés dans le réseau, rappelait le militant, résumant la situation : ça craque de partout.

En toute logique, cette disparition des emplois a des conséquences. Les agents sont épuisés. Et désormais, ils s’expriment de plus en plus sur la situation dégradée de cette administration et dressent dans le « baromètre interne » un constat accablant pour la direction générale. Pour l’usager, tout cela a aussi des conséquences, à commencer par un éloignement des services déconcentrées des finances publiques, tandis que les agents, eux, aux prix d’une charge de travail décuplée, tentent chaque jour de maintenir un service de proximité, par téléphone ou aux guichets, et de traiter les dossiers. Dans une administration toujours plus « à l’os » au plan de ses effectifs, les robots de l’intelligence artificielle seraient-ils bientôt amenés entre autres à jouer le rôle de pompiers en permettant encore de maintenir certains services rendus à l’usager, et tout en camouflant le manque de moyens dont disposent les agents pour assurer leurs missions ?

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération

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