La grève générale suisse de 1918

Histoire par Christophe Chiclet

Grève générale en Suisse de 1918 : Photo prise sur la Paradeplatz de Zurich avec des manifestants et des cavaliers de l’armée face à face. (CC0 1.0)

La Confédération helvétique n’est pas que le pays des banques, de la Croix rouge et des fromages fondus. C’est aussi une terre de lutte des classes dans un contexte politique et sociologique difficile.

En ce début du XXe siècle la Suisse est loin d’être un pays de cocagne. En 1914, la durée du travail hebdomadaire y est encore de 59 heures. L’exode rural s’accélère et la classe ouvrière atteint le million et demi. Des travailleurs sous payés, mal logés, sans assurance maladie. A la veille de la Grande guerre, les associations ouvrières regroupent 250 000 membres, dont 90 000 dans les syndicats proprement dits. Avec la guerre, la Suisse ne peut plus s’approvisionner chez ses voisins et l’inflation touche tous les produits de première nécessité. Dès 1916 les cartes de rationnement font leur apparition, ainsi que le marché noir.

Le mouvement ouvrier suisse s’est quant à lui organisé très tôt. L’AIT (Alliance internationale des travailleurs) ou Première Internationale, fondée en 1864, organise son premier congrès à Genève en 1866 et le second à Lausanne l’année suivante, profitant de l’implantation de quatre puissantes sections (Genève, Lausanne, Vevey et Montreux). Quand Marx exclut les anarchistes de l’AIT en 1872, c’est de Suisse que vient la contre-offensive. La puissante Fédération jurassienne, derrière James Guillaume, fonde l’Internationale anarchiste à Saint-Imier le 15 septembre de la même année, rejointe par les Espagnols, les Italiens, des Russes et des Français. Les Jurassiens sont composés essentiellement d’ouvriers horlogers syndiqués, rejoints par des réfugiés de la Commune de Paris. Mais les ouvriers alémaniques restent majoritairement fidèles au socialisme-marxiste.

Avec la Première Guerre mondiale, la Suisse mobilise son armée pour défendre sa neutralité ce qui aggrave la situation économique et sociale, et militarise la société. Les 27-28 juillet 1918, le Parti socialiste, l’Union syndicale et l’Union fédérative des fonctionnaires se réunissent à Olten, demandant la journée de 8 heures, la fin du contrôle policier sur la presse, les réunions et les manifestations et une revendication plus internationaliste : l’abrogation de l’arrêté fédéral ordonnant que les déserteurs (français, allemands, austro-hongrois, italiens) soient repoussés de l’autre côté de la frontière. Des syndicats de soldats suisses apparaissent dans les 4e et 5e divisions [1] en ce mois de juillet.

LA PREMIÈRE GRÈVE GÉNÉRALE DE L’HISTOIRE SUISSE

Face à l’agitation ouvrière dans les villes, le Conseil fédéral mobilise des troupes dans les villages ruraux début novembre. Le 9, Zürich et Berne sont occupées par la troupe. Le jour même, le Comité l’Olten appel à une grève d’une journée, largement suivie. L’Union ouvrière de Zürich déclare alors la grève générale dans tout le canton. Le 11, l’USS (Union syndicale suisse) étend le mouvement à tout le pays, demandant la semaine des 48 heures, la réorganisation de l’armée dans le sens « d’une armée populaire », une assurance vieillesse pour tous et le monopole de l’État sur les importations et les exportations. Le nombre des grévistes atteint rapidement les 250 000, alors que le Conseil fédéral mobilise 50 000 hommes, mobilisation entravée par les cheminots grévistes. Alors que les fusils viennent juste de se taire de par le monde, l’Assemblée fédérale se réunit en urgence le 12 novembre à 11 heures. Elle refuse de négocier et envoie les paysans villageois et les militaires d’origine paysanne remplacer les grévistes. Le 15, l’USS accepte la reprise tout en déclarant : Les ouvriers ont dû céder à la puissance des baïonnettes. Le 1er février 1919, le clergé protestant remercie l’armée en la cathédrale de Lausanne pour avoir rétabli l’ordre bourgeois. Deux mois plus tard les leaders du Comité d’Olten passent en jugement et sont condamnés à de la prison. Malgré l’échec de la grève générale, les autorités ébranlées par ce premier grand mouvement revendicatif durent lâcher du lest : introduction de la proportionnelle aux élections fédérales, ce qui permit au Parti socialiste de passer de 19 à 43 députés au parlement de Berne lors des élections de fin 1919, semaine des 48 heures et congés payées pour une partie des travailleurs du public. Le nombre de syndiqués passa de 90 000 en septembre 1918 à 175 000 en janvier 1919. Bref, une réelle avancée dans un contexte particulièrement difficile.

Christophe Chiclet Journaliste à L’inFO militante

Notes

[1L’armée suisse est une armée de citoyens qui font deux ans de service militaire, puis des périodes de plusieurs mois jusqu’à l’âge de 55 ans. Chaque citoyen-soldat emporte son arme et son paquetage chez lui après ses périodes.