Partant du postulat que l’économie française connaît une reprise généralisée
et vigoureuse, portée par des conditions favorables à l’échelle nationale et mondiale
, l’institution financière internationale, considère que les autorités françaises devraient s’attaquer aux enjeux à long terme
.
Le FMI commence pourtant par constater qu’au cours de l’année écoulée, la France a accompli des progrès impressionnants à cet égard
. Il se félicite notamment de la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle qui font mieux correspondre la formation aux besoins des entreprises
, d’autant plus que des réformes concomitantes du système d’éducation modifieront l’accès à l’enseignement supérieur
.
Quant au programme de réformes encore à venir, le FMI le qualifie de tout aussi ambitieux
.
Doutes et exigences
Que veut-il donc de plus ? L’institution internationale aurait-elle des doutes quant à la capacité du gouvernement à mener ces réformes à terme ?
On pourrait le croire, à voir l’insistance avec laquelle le FMI encourage
le gouvernement à en priorité s’attacher à parachever et mettre en œuvre les réformes prévues de la formation professionnelle et de l’apprentissage
et à les renforcer à l’aide de mesures supplémentaires si nécessaire
, mais aussi à poursuivre l’ouverture à la concurrence des services, en particulier du secteur ferroviaire par la restructuration
de la SNCF.
Bien évidemment, les dépenses publiques ne sont pas oubliées. Le FMI demande aux autorités françaises de fournir des plans spécifiques de réduction de la dépense publique tout en la rendant plus efficiente
et de mettre la dette publique sur une trajectoire de réduction soutenue à moyen terme
.
Là encore, il insiste : le gouvernement a des objectifs budgétaires suffisamment ambitieux, mais doit encore préciser en détail comment il compte les atteindre.
Citant le rôle du Comité Action Publique 2022, le FMI n’en donne pas moins ses propres consignes, comme notamment de simplifier les prestations sociales et de mieux les cibler sur ceux qui en ont besoin
, de maîtriser les dépenses de santé en recourant davantage aux médicaments génériques, en réformant les hôpitaux et les soins de base et en intégrant mieux les différents niveaux de soins…
Retraites, SNCF, fonctionnaires, minima conventionnels…. Tout doit y passer
En clair, si le FMI s’interroge entre les lignes sur la capacité du gouvernement français à imposer ses réformes en cours, il n’en joue pas moins son rôle jusqu’au bout, en en demandant toujours plus… De façon à en obtenir le maximum.
La réforme des retraites en cours de consultation
? Elle pourrait aussi prévoir de relever progressivement l’âge effectif de la retraite en tenant compte de l’allongement de la durée de vie
, en plus de son objectif d’unifier les différents régimes.
La réforme prévue
du service public ? Des réductions supplémentaires et ciblées des effectifs de fonctionnaires par attrition [non remplacement des départs en retraite, NDLR], devraient compléter le recours accru aux CDD, les plans de départs volontaires et le système de rémunération au mérite
.
Les collectivités locales ? Outre les plans actuels, la fusion des petites municipalités et l’élimination des doublons entre les fonctions des collectivités locales et de l’administration centrale pourraient créer de nouvelles économies d’efficience.
Le marché
du travail ? La logique de remise en cause des conventions collectives de branche au profit des accords d’entreprise, colonne vertébrale de la loi Travail du gouvernement précédent et des ordonnances de l’actuel, doit être poussée plus loin encore. Le FMI recommande ainsi d’accroître la flexibilité des entreprises sur le plan de la formation des salaires de base
et de réduire le champ d’application du mécanisme qui régit les salaires minimums
.
Incidence des réformes structurelles sur la croissance : Le FMI contredit ses propres économistes
Autant de désidérata que le FMI justifie par un deuxième postulat : ces réformes structurelles renforceront la croissance à long terme… Ce que plusieurs études démentent depuis plusieurs années.
Les économistes du FMI reconnaissaient eux-mêmes en 2015, année où les hautes sphères commençaient à penser en termes de sortie de crise : La réglementation du marché du travail n’a pas, selon l’analyse, d’effets statistiquement significatifs sur la productivité totale des facteurs
. Ils précisaient aussi que l’incidence des réformes, y compris celles visant à libéraliser les marchés de produits dépend
de toutes les façons des conditions initiales qui précèdent la réforme et de la situation conjoncturelles.
(Perspectives de l’économie mondiale : croissance inégale-facteurs à court et long terme, avril 2015)
A l’évidence, les réformes structurelles des années 1990 et 2000 n’ont pas préservé la croissance de la crise mondiale qui a éclaté en 2008…
Les réformes structurelles aggravent les inégalités qui détruisent la croissance
En revanche, les réformes structurelles aggravent les inégalités et de ce fait détruisent la croissance. En mai 2015, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a ainsi établi que la hausse vertigineuse des inégalités, qui ont atteint cette année-là leur point culminant depuis trente ans, était due en premier lieu à la dégradation de la qualité des emplois et des conditions de travail favorisées par les réformes structurelles du marché du travail. (Les deux autres facteurs d’aggravation des inégalités étant un affaiblissement quasi général de la redistribution du fait d’un affaiblissement de la fiscalité et des transferts sociaux, et les changements technologiques privilégiant de plus en plus les hautes qualifications).
Or, comme la Confédération FO l’explique depuis toujours pour appuyer ses revendications : plus les inégalités s’accroissent, plus le potentiel de croissance de long terme diminue, dans la mesure où le niveau de vie d’une partie de la population toujours plus importante s’effondre, ce qui entraîne une diminution de sa consommation et donc de la demande intérieure.
D’ailleurs, les économistes du FMI n’écrivaient-ils pas en 2015 : Dans certains pays avancés, notamment la zone euro et le Japon, une période prolongée de faiblesse de la demande pourrait encore éroder l’offre de main-d’œuvre et l’investissement et, partant, la croissance potentielle
?
N’allaient-ils pas jusqu’à recommander : dans les pays avancés, il est nécessaire de soutenir la demande pour stimuler l’investissement et, partant, la croissance du capital
?
Cercle vicieux
De fait, le taux d’investissement des entreprises reste particulièrement faible, inférieur de 15% à celui observé dans les sorties de crise précédentes. Les entreprises exigent toujours des retours sur investissement très élevés, de l’ordre de 14%, avant d’investir, alors que le coût du capital s’est réduit et l’accès au financement est plus facile que jamais avec des taux d’intérêt proches de zéro, expliquait en février dernier dans les colonnes de FO Hebdo Pierre Habbard secrétaire général du Tuac, la commission syndicale consultative auprès de l’OCDE, dans une interview intitulée « Une reprise sans hausse des salaires ni de l’investissement ne peut être durable ».
Mais, si le FMI dans sa note de ce 4 juin sur la France, relativise lui-même son postulat de départ quant à la reprise généralisée et vigoureuse
, évoquant des risques de dégradation
, il s’en remet à son habituel remède : les réformes structurelles. Entre potion magique et incantation. De quoi nourrir le cercle vicieux.