Quoique difficile à quantifier la fraude fiscale en France induit chaque année un manque à gagner considérable pour l’État. Le montant de cette fraude (un millier de dossiers ont été transmis à la justice en 2018) est évalué à plusieurs dizaines de milliards d’euros par an, entre 60 et 100 milliards d’euros indique certaines sources tandis qu’un rapport de la Cour des comptes sur ce sujet doit être remis au gouvernement en novembre prochain.
Depuis des années, les gouvernements successifs affirment vouloir lutter contre ce fléau avec de nouveaux outils juridiques (telle la loi anti-fraude du 23 octobre 2018 ou encore la suppression du verrou de Bercy), de contrôle et d’échange de données fiscales y compris en renforçant les relations et la transmissions d’informations fiscales entre pays européens.
La lutte contre cette fraude fiscale et douanière se renforce certes mais dispose-t-elle de suffisamment de moyens ? Le 3 juillet, le ministre de l’Action et des comptes publics, Gérald Darmanin annonçait fièrement la création d’un nouveau service basé à Ivry-sur-Seine près de Paris et rattaché au ministère de l’Economie : le Service d’enquêtes judiciaires et fiscales (SEJF). Placé sous l’autorité d’un magistrat, cette « police fiscale » annonce le ministre comptera une quarantaine d’agents des finances publiques, officiers fiscaux judiciaires.
Le SEJF, l’arbre qui cache une forêt de détériorations ?
Pour l’instant seuls vingt-cinq qui ont reçu une formation à l’école des douanes, y sont affectés. Quelque 241 agents du service national de douane judiciaire vont être affectés eux aussi à ce service d’un nouveau genre qualifié par le ministère de « force d’élite ». Lorsque le service SEJF sera saisi, par exemple par le Parquet national financier (PNF) les agents vont pouvoir perquisitionner, géo-localiser, mettre en garde à vue, faire des auditions, mettre sous écoute, saisir les avoirs ou les biens qu’ils vont découvrir
explique Gérald Darmanin.
L’accélération du mouvement de lutte contre une fraude (TVA, impôts directs…) qui pèse lourdement sur les finances publiques, privant chaque année l’État de recettes fiscales cependant dues, ne peut que réjouir bien sûr. Cependant si le SEJF à compétence nationale est présenté comme la figure de proue des services fiscaux, ne serait-il pas l’arbre qui cache la forêt, la nouveauté médiatisée qui masque la détérioration des autres services ?
Prenant acte de l’arrivée de ce nouveau service, la fédération FO des finances se montre critique et replace la création du SEJF dans un contexte qui n’a rien de satisfaisant au plan du respect, par le ministère, des emplois et des missions de l’ensemble des services des secteurs de l’Economie et des finances.
Des services malmenés par les réformes
Le SEJF est-il suffisant ? Cette configuration ne sera pas celle qui permettra de trouver les 60 milliards tant espérés, non que la fraude n’existe pas mais uniquement car les moyens sont encore sous-dimensionnés face à l’ampleur de la tâche. De plus, ce ne sont que des transferts et non des créations d’emplois pour notre ministère
soulignait récemment Philippe Grasset, le secrétaire général de FO-Finances.
Et c’est là entre autres que le bât blesse. Philippe Grasset indique ainsi que le projet de supprimer 40 000 postes de fonctionnaires censés combattre cette fraude perdure
. Par ailleurs la répartition sur tout le territoire de ce service SEJF reste à optimiser et enfin que les 250 agents de l’administration des douanes s’interrogent encore à l’idée de ce basculement vers le ministère, sans autre explication qu’un comité technique de réseau très évasif et avec des textes légaux qui vont jusqu’à prévoir un basculement possible vers le ministère de l’intérieur
.
En effet, la présentation de ce nouveau service ne fait pas oublier aux agents, tant des douanes que des finances publiques (DGFIP), les réformes structurelles qui depuis des années et au nom des économies à réaliser amènent les services à des états désastreux au plan des moyens et des emplois.
Depuis le mois de mars, les agents de la DGFIP, à l’appel de FO notamment, ont effectué ainsi de nombreuses grèves et autres occupations de sites pour signifier leur opposition à une nouvelle restructuration territoriale des services des finances publiques et de leurs implantations dont le nombre serait divisé par quatre d’ici 2022. Ces services à part entière seraient remplacés, au mieux, par des points d’accueil qui plus est parfois itinérants. Concrètement le maillage territorial de ces services publics est en recul et les services s’éloignent de plus en plus des citoyens/usagers.
Des administrations privées de dizaines de milliers de postes
La situation de l’emploi à la DGFIP inquiète aussi les personnels, de plus en plus surchargés de travail par la fonte chronique des effectifs. Depuis plus de dix ans, et au prix d’une mise en péril des missions, cette direction perd 2 000 emplois par an en moyenne.
Du côté des services des douanes et droits indirects, la situation n’est pas plus glorieuse. Les agents se sont mis en grève au printemps dernier, à l’appel de FO notamment, fustigeant le manque d’effectifs et la dégradation continue des conditions de travail. En vingt ans et au fil de multiples fusions et restructurations de ses implantations territoriales, la douane – à laquelle l’État demande de participer activement à la lutte contre la fraude – a perdu plus de 6 000 postes.
De fait, tant à la DGFIP qu’aux douanes, face à une situation de services exsangues et à la difficulté pour les agents d’assurer encore les missions publiques, chacun regarde avec distance et méfiance les annonces récentes en matière de lutte contre la fraude. Il ne faut pas que cette nouvelle police fiscale devienne la vitrine du contrôle fiscal et signe la mort des services de vérification de la DGFIP et de la Douane dans le réseau
résume Philippe Grasset pour FO-Finances.