Que penses-tu de la proposition du Premier ministre de travailler plus longtemps
pour financer la dépendance des plus âgés ?
Philippe Pihet : Je vois dans cette proposition un habillage maladroit, qui correspond en réalité à un choix du gouvernement de reporter l’âge légal de départ à la retraite. Le premier ministre vient de dévoiler la volonté de l’exécutif, au-delà de son projet de réforme systémique, de faire une réforme bis des retraites, paramétrique celle-là. Tout cela alors qu’il nous a été dit dans la concertation que l’on ne toucherait pas à l’âge légal de la retraite aujourd’hui fixé à 62 ans. Le Premier ministre décrédibilise à la fois la concertation et la confiance qu’il cherche auprès des jeunes générations concernant la mise en œuvre d’un régime unique par points. Comment faire confiance à un gouvernement qui change les règles du jeu en cours de route et qui a l’intention de repousser l’âge de la retraite des générations nées à partir de 1960 ?
Les deux sujets de la retraite et de la dépendance sont-ils liés, comme l’affirme le gouvernement ?
Philippe Pihet : Les retraites et la dépendance ne sont liés en aucune façon. Rapprocher les deux dossiers revient à faire reposer le financement du risque uniquement sur l’assurance vieillesse, donc sur les retraités. Ce serait un non-sens économique et une injustice sociale majeure. Cela acterait la fin du contrat social intergénérationnel, selon lequel la Sécurité sociale permet à chacun de cotiser selon ses moyens pour percevoir selon ses besoins.
Si une grande majorité des personnes en perte d’autonomie sont des personnes âgées, n’oublions pas que les situations de handicap existent et peuvent survenir à tout âge. La perte d’autonomie est un risque de la vie.
Que propose FO pour financer la dépendance de nos ainés ?
Philippe Pihet : À Force Ouvrière, nous revendiquons la création d’un cinquième risque au sein de la Sécurité sociale, et plus précisément au sein de sa branche Assurance maladie. Ce risque serait financé par une cotisation sur l’ensemble des revenus, les revenus du travail comme ceux du capital. Nous sommes évidemment en premier lieu opposés au financement de la perte d’autonomie par l’assurance privée, comme cela a un temps été évoqué, mais heureusement ne figure pas dans le rapport de Dominique Libault.
Que penses-tu des pistes de financement évoquées dans le rapport de Dominique Libault ?
Philippe Pihet : Une piste mérite d’être creusée, celle de l’utilisation de la CRDS. En revanche, faire financer la dépendance par les excédents de l’assurance maladie me paraît plus qu’aléatoire, en raison de la situation financière du régime, dont nous craignons qu’il soit de nouveau en déficit en 2019. Quant à l’idée de créer une nouvelle journée de solidarité payée uniquement par les salariés, c’est clairement non pour FO. Ce serait la porte ouverte à un doublement de la CASA (Contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, NDLR), la taxe de 0,3% prélevée sur les revenus bruts des retraites, des pensions d’invalidité et des allocations de préretraite.
Les syndicats de personnels des Ehpad et de l’aide à domicile sont reçus aujourd’hui à l’Elysée. Quelle est l’engagement de la confédération dans ce dossier ?
Philippe Pihet : La confédération apporte depuis le départ son soutien aux personnels des Ehpad et de l’aide à domicile, à leurs syndicats et à leurs fédérations FO. Il est urgent de redonner au secteur des moyens à la hauteur des besoins, et notamment d’instaurer au niveau des effectifs un ratio d’un encadrant pour un résident dans les Ehpad, sur la base des préconisations du plan Solidarité grand âge 2006, qui n’ont jamais été appliquées. L’augmentation de 25% du taux d’encadrement dans les Ehpad, d’ici à 2024, proposé dans le rapport Libault, reste notoirement insuffisant.
Ce rapport insiste par ailleurs sur la nécessité de revaloriser les métiers de l’âge, mais il ne contient aucune mesure concrète en faveur d’une hausse des rémunérations. C’est là aussi une de nos principales revendications.
Cela fait plus de quinze ans que les gouvernements, de quinquennat en quinquennat, se repassent le dossier de la dépendance. Existe-il aujourd’hui d’un véritable défi à relever avec l’arrivée des générations du baby-boom à la retraite ?
Philippe Pihet : Le dossier dépendance a toujours bloqué sur les aspects financiers. Il y a évidemment urgence à débloquer des moyens pour satisfaire les besoins criants dans ce secteur. Mais il faut toujours faire attention aux chiffres présentés comme alarmistes. On prévoit certes plus de 40 000 personnes âgées dépendantes de plus par an à compter de 2030, mais ces statistiques ne prennent pas en compte les actions de prévention et les progrès technologiques de la médecine. ll convient de garder la tête froide.