Santé mentale : les cadres et les managers risquent le burn out

InFO militante par Fanny Darcillon, L’inFO militante

Surcharge de travail, manque de déconnexion, conflits de loyauté : de nombreux cadres, et plus encore de cadres managers, sont exposés à des situations problématiques sur le plan de la santé mentale, révèle une étude de l’Association pour l’emploi des cadres. FO appelle à remettre les responsabilités individuelles à leur juste place, et à davantage interroger l’organisation collective du travail qui peut créer crée du mal-être.

Du fait de l’intensification du travail, de la course à la rentabilité et de l’affaiblissement des collectifs de travail, la santé mentale est plus que jamais un enjeu en milieu professionnel. Si l’ensemble des salariés sont touchés par ces questions, il existe une catégorie qui y serait davantage exposée : les cadres, et plus encore les cadres managers. C’est la conclusion à laquelle est arrivée l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) dans une étude publiée début octobre.

D’après cette enquête, 41% des cadres déclarent travailler souvent sous pression, contre 24% des non-cadres. Ils sont également nombreux à admettre des difficultés de déconnexion une fois la porte de leur lieu de travail refermée : 65% continuent à penser à leur activité, contre 42% des non-cadres. Les trois quarts des personnes occupant des postes à responsabilité travaillent d’ailleurs parfois durant leur temps libre – c’est également le cas de 38% des autres travailleurs.

Entre dépassement de soi et épuisement professionnel

Ce qui a profondément changé pour les salariés de manière générale, c’est qu’ils sont soumis à des exigences de plus en plus difficiles à gérer, dès lors que les objectifs qu’on leur assigne sont difficiles à atteindre avec des moyens réduits, analyse Éric Peres, secrétaire général de la fédération FO-Cadres et vice-président de l’Apec. Dans ce contexte, les cadres se retrouvent de plus en plus isolés face à leurs responsabilités. Cela peut conduire à des situations extrêmement graves : burn out, dépression, jusqu’au suicide, rappelle-t-il.

L’Apec pointe le rôle des injonctions au dépassement de soi, inhérentes à l’identité cadre. Un constat qui n’est pas nouveau, souligne Éric Peres. Les sociologues qui ont travaillé sur ces questions ont toujours démontré qu’il y avait de la part des cadres une forme de surinvestissement de la sphère professionnelle. Selon l’étude, 89% des cadres managers et 77% des cadres non-managers estiment qu’il est important de se dépasser dans son travail, au point d’en faire une part de leur identité. Or, selon les experts, la frontière entre dépassement de soi et épuisement est particulièrement mince, avertit l’Apec.

Une « logique de l’honneur »

Pour Éric Peres, une sorte de logique de l’honneur s’applique : je me dois de relever les défis qui me sont présentés, je n’ai pas le droit à l’erreur. Une mentalité qui peut se révéler dangereuse au moment d’admettre ses vulnérabilités. 32% des cadres non-managers et 39% des managers considèrent toujours que parler de leurs difficultés peut nuire à leur évolution professionnelle. Plus d’un manager sur deux estiment en outre que cela porterait atteinte à leur légitimité.

Beaucoup de cadres renoncent à accepter un arrêt maladie quand ils en auraient besoin. Pire : face à un stress, certains cadres (28%) et cadres managers (37%) ont pour réflexe de répondre en augmentant leur charge de travail, créant un véritable cercle vicieux. La surcharge de travail est en effet la première cause citée par les managers dans la dégradation de leur santé mentale.

Une prévention insuffisante de la part des entreprises

À cette « identité cadre » parfois peu compatible avec le soin de soi s’ajoute une tendance délétère des entreprises à individualiser les problèmes. Lorsqu’il y a des problèmes de moyens sur un projet, ou un problème d’organisation du travail, on n’interroge plus l’entreprise dans sa conduite de projets, mais la responsabilité est renvoyée sur la personne, décrypte Éric Peres. Là où il faudrait revoir la charge de travail, reprendre le calendrier, allouer des moyens – bref : revoir l’organisation du travail –, les entreprises ont pour réflexe de demander des comptes au cadre en place.

D’où un certain retard des employeurs dans la mise en place d’actions concrètes en faveur de la santé mentale des salariés en général, et des cadres en particulier. « Le management aujourd’hui en France ne veut pas se remettre en cause sur ses pratiques », estime Éric Peres. Les cadres ne sont que 26% à affirmer que leur entreprise a pris très au sérieux les problèmes de santé mentale, selon l’Apec. 44% indiquent que leur entreprise a communiqué sur le sujet mais sans actions réellement concrètes et 30% que leur entreprise n’a pas déployé d’actions.

Des conflits de loyauté

Autre lacune de la prévention : les managers restent assez peu formés au repérage et à l’accompagnement des problèmes de santé mentale chez les salariés de leur équipe. Si 93% d’entre eux estiment qu’il est de leur ressort de prévenir ces situations, ils sont 65% à trouver qu’elles sont difficiles à détecter. Par ailleurs, ils n’ont pas toujours l’autonomie décisionnelle qui leur permettrait d’agir efficacement pour le bien-être de leurs équipes en difficulté : 56 % des managers jugent difficile de réduire la charge de travail de leurs collaborateurs et 42 % d’adapter leur organisation de travail, indique l’enquête.

Les managers sont pris en tenailles entre les choix stratégiques de l’entreprise et les collaborateurs sur le terrain qui vont subir la traduction de cette stratégie en termes opérationnels, expose Éric Peres. Réduction d’effectifs, déploiement de l’intelligence artificielle, baisse de moyens : certaines situations se manifestent par de véritables conflits de loyauté. Il faut redonner la capacité aux cadres de se démettre, de refuser de s’engager dans des dispositifs qui créeraient du mal-être sur le terrain, plaide-t-il.

Un guide sera bientôt édité par la fédération FO-Cadres pour sensibiliser les managers à la détection des situations problématiques. Il faut les pousser à réinterroger de manière critique l’organisation du travail, à travers cette question de la santé mentale.

Fanny Darcillon

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération

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