[Théâtre] Amamonde

Culture par Christophe Chiclet

Un aperçu théâtral sur l’enfer du travail dans les entrepôts du géant mondial du commerce en ligne, l’Américain Amazon.

C’est en 1994 que Jeff Bezos fonde une petite société spécialisée dans le e-commerce de livres : Amazon. Au départ sa démarche est plutôt bien perçue par les éditeurs, les auteurs et les lecteurs. Mais comme son nom l’indique, il ne s’agit pas d’un petit ruisseau littéraire que l’américain est en train de mettre en place, mais bien du plus grand fleuve du monde de la distribution. La pieuvre devient vite tentaculaire et livre désormais tout type de marchandises. En 2018, la fortune de Bezos était estimée à environ 140 milliards de dollars, et les géants de la grande distribution commencent sérieusement à craindre ce boulimique qui diversifie ses activités dans tous les secteurs de la « nouvelle économie ».

C’est en tombant sur un article de Jean-Baptiste Malet paru dans Le Monde Diplomatique, « Amazon, l’envers de l’écran », résumé de son livre, « En Amazonie, infiltré dans le meilleur des mondes », que Maria Delplancke découvre les villes-entrepôts d’Amazon. Il s’agit de gigantesques accumulations de marchandises avec des rayonnages où ces dernières sont rangées via un algorithme qui optimise leur encombrement dans les alvéoles. Installée en France depuis l’été 2000, Amazon dispose aujourd’hui de cinq « villes-entrepôts », appelées pudiquement centres de distribution (Loiret, Drôme, Saône et Loire, Nord, Somme et Oise).

Des employés robotisés

Pour parfaire ses connaissances, la metteuse en scène se plonge alors dans la thèse de sociologie de David Gaborieau : « Des usines à colis. Trajectoire ouvrière des entrepôts de la grande distribution ». De ces lectures, Maria Delplancke découvre aussi des conditions de travail immondes et révoltantes : gestes répétitifs avec des cadences infernales, ultra-surveillance des postes de travail… Elle parle d’hommes devenus esclaves des choses. On pourrait facilement ajouter : les livreurs comme les livrés. C’est de ce contexte qu’elle va tirer la traduction scénique d’« Amamonde ». Elle s’en explique : Il est des réalités si absurdes qu’elles en deviennent effroyablement théâtrales. La mécanisation des gestes et des rapports humains sévit dans les entrepôts d’Amazon. L’accumulation et les rayonnages forment un labyrinthe contemporain. Le monde est renversé. Dans cette usine à faire le vide qui ne produit plus rien que du déplacement, les hommes sont devenus livreurs de temps. Ils s’épuisent pour déplacer l’objet, perdent de leur humanité pour emballer les choses. Amamonde est l’épilogue de cette dystopie. Les nouveaux « Temps modernes » !

 

Amamonde : 3-31 mai 2019, Théâtre de Belleville, 94 rue du Faubourg du Temple, Paris XIe, du mercredi au samedi à 21h15, durée 1h15.
Écriture et mise en scène Maria Delplancke. Interprètes : Anna Carraud, Gonzague Van Bervesseles, Gaétan Vettier. Musique : Léa Moreau.

Christophe Chiclet Journaliste à L’inFO militante

Sur le même sujet