Le bras-de-fer se durcit chez le distributeur nordiste, où plusieurs milliers de salariés en France, sur plus d’une centaine de sites (supermarchés, hypermarchés, bases logistiques), ont déjà débrayé le 22 mars. Ce vendredi 29 mars, pour la deuxième fois en une semaine, les 59.000 salariés étaient appelés à se mobiliser pour de meilleurs salaires et conditions de travail, à l’appel des quatre principales organisations syndicales dont FO. Cet appel intersyndical, à quatre, est inédit.
C’est un euphémisme de dire que les négociations annuelles obligatoires, conclues le 21 mars sur un constat de désaccord (l’ensemble des syndicats ayant refusé de signer), ont déçu. La direction, qui a refusé d’améliorer ses propositions, a fini par concéder unilatéralement une augmentation générale de 1,3% au 1er mars, hors encadrement. Celui-ci doit bénéficier de primes individuelles dans le cadre d’une hausse de l’enveloppe le concernant égale a minima
à 1,2% de la masse salariale.
Ces mesures sont nettement insuffisantes. Elles ne couvrent pas l’inflation établie, l’an passé, à + 4,9% selon l’Insee. Et il n’y a aucune mesure sociale. Les salariés veulent juste vivre dignement de leur travail
, martèle Franck Martinaud, délégué syndical FO d’Auchan Retail France, qui revendique une augmentation générale de 5,4% pour 2024.
Stop à la perte de pouvoir d’achat !
La direction a indiqué à la presse que ses propositions étaient à remettre dans un contexte sur deux ans
, les employés (ayant) connu une hausse de 6,6% en 2023 (…) et les cadres, de 5,5%
(pour une inflation 2022, établie à +5,2%, NDLR). Et elle dit avoir tenu compte de l’inflation, en décidant de reconduire en 2024 à un niveau équivalent à 2023 les remises sur achat accordées aux salariés, alors qu’initialement elle comptait diminuer de 15 à 10% celles sur l’alimentation... La direction a pris cette décision in extremis pour saper la mobilisation du 22 mars. Sans y réussir. On est encore très loin du compte, et des attentes des salariés
, rétablit Franck Martinaud.
Selon la grille salariale réactualisée au 1er mars, précise-t-il, une hôtesse de caisse, un employé mettant les produits en rayon ou un vendeur non-alimentaire au coefficient 2B (de la typologie d’emplois 1) et à temps plein perçoivent 1.792,74 euros bruts par mois (hors paiement du temps de pause majorant ce forfait de 5%). Soit quelque 26 euros bruts au-dessus du Smic... Voilà le niveau de salaire de la grande majorité des employés
, appuie-t-il.
Le militant FO rappelle également les résultats décevants des deux plans d’épargne entreprise, valorisés actuellement en négatif, ainsi que de la participation d’entreprise, en raison des mauvais résultats financiers du distributeur (il est tombé dans le rouge en 2023, avec une perte nette de 379 millions d’euros, NDLR). Ce n’est pas aux salariés de payer la note
, rétorque Franck Martinaud. Les affiches FO placardées dans les magasins disent le mécontentement : Stop à la perte de pouvoir d’achat !
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Dégradation des conditions de travail
A l’insatisfaction salariale, s’ajoute le constat généralisé
d’une dégradation des conditions de travail. Le travail s’est intensifié depuis deux ans. Le déploiement des caisses automatiques, qui se fait sur fond de réduction d’effectifs et de polyvalence imposée, génère de nouvelles tâches qui ne sont pas prises en compte
, poursuit Franck Martinaud. Dans l’hypermarché, qui l’emploie à Mâcon (Saône-et-Loire), les effectifs ont baissé de 10% entre mars 2023 et 2024, du fait du turn-over et du non-remplacement des absents
. La direction locale prétend que la baisse du chiffre d’affaires compenserait une situation d’effectifs moindres. Elle évacue les nouvelles tâches liées au développement des caisses automatiques. Pour les fêtes de fin d’année 2023, par exemple, il a fallu mettre des anti-vols sur tous les foies gras. Cela prend du temps, pour les mettre puis pour les retirer en caisse. Et ce n’est qu’un exemple…
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Dans ce contexte d’intensification du travail, le projet d’accord sur l’aménagement et l’organisation du temps de travail, qui est destiné à unifier les pratiques entre les 120 hypermarchés et 250 supermarchés, attise l’inquiétude des salariés. Syndicalement, FO y est favorable. Mais nous bataillons pour que l’harmonisation se fasse sur la base des dispositions les mieux-disantes socialement. Ce n’est pas ce qui est proposé. On se dirige, en l’état, vers la perte d’acquis sociaux
, poursuit le délégué syndical FO d’Auchan Retail France.
Ainsi, le principe du volontariat pour le travail le dimanche ou les jours fériés ne serait plus totalement garanti : le projet d’accord indique qu’ en l’absence de volontariat suffisant
, jusqu’à 15 dimanches et 4 jours fériés par an pourraient être imposés. Quant au travail exceptionnel du dimanche (c’est-à-dire effectué au-delà de 13 heures), il serait majoré à 150% uniquement les dimanches du mois de décembre, et majoré à 100% les autres mois.
Poursuite de la mobilisation tout le week-end
Le projet d’accord introduit également une annualisation du temps de travail, avec des semaines pouvant compter jusqu’à 44 heures de temps de travail effectif ou 42 heures, en moyenne, sur 12 semaines consécutives, avec relevé des compteurs temps
par trimestre. Ce qui fait craindre, à terme, une baisse du nombre d’heures supplémentaires réalisées… Des semaines possiblement de 44 heures payées 35, une suppression programmée des heures supplémentaires, le principe du volontariat battu en brèche pour le travail le dimanche ou les jours fériés… le projet ne passe pas
, résume Quentin Leclerc, délégué syndical central FO d’Auchan UES Exploitation.
FO et les trois organisations syndicales ont appelé les salariés à se mobiliser tout au long de ce week-end, qui est l’un des plus important de l’année dans la grande distribution. Si elles ne sont pas entendues, elles n’excluent pas un nouvel acte fort.