Productivité en baisse : les politiques publiques convoquées
S’ il y a une amélioration depuis le début 2023 (au rythme annuel par tête de + 1,3 % indiquait en avril l’OFCE), la productivité en France (rapport entre la valeur ajoutée produite et le nombre de personnes employées) a fléchi entre 2019 et 2024, constatent toutes les études. Une baisse de 8,5 % par rapport à sa tendance pré-Covid
, indiquait la Banque de France (BdF) en 2024. De plus en plus, le discours libéral sonne l’alarme de la compétitivité de l’économie et pointe du doigt les performances des travailleurs par rapport à leurs homologues européens.
Des raisons majeures depuis 2019
Or, pour les économistes, notant l’impact de la crise sanitaire, la baisse de la productivité, en rien dramatique ni étonnante, renvoie surtout à certains choix. Ainsi, les facteurs de baisse traduisent davantage une orientation des politiques publiques en faveur de l’emploi (…) plutôt qu’une diminution du potentiel de création de richesse de la France
, indique la BdF. La politique de soutien à l’apprentissage apparaît comme le principal déterminant de l’affaiblissement de la productivité
depuis 2019, détaille l’OFCE. D’autres raisons majeures sont citées, notamment la politique de soutien aux entreprises, la baisse du coût du travail principalement liée au retard d’indexation des salaires sur les prix
, ou encore la baisse globale du chômage sur la période, et ce qu’elle emporte en termes de profil des actifs
.
Santé : les revenus des plus modestes déjà fortement sollicités
Exposés depuis l’été, les projets du gouvernement, désormais démissionnaire, pour réduire les dépenses de la Sécurité sociale (nouvelles économies pour l’hôpital, doublement des franchises…) faisaient courir le risque d’un creusement des inégalités. Cela alors que rapporté à leurs revenus, l’effort des ménages pour leurs dépenses de santé est déjà très variable, et particulièrement fort pour les plus modestes, ainsi que le soulignait en août une étude de la Drees, la direction statistique des ministères sociaux. L’effort (qui ajouté aux cotisations sociales inclut le reste à charge, la mutuelle complémentaire, la CSG ou encore la TVA) représentait ainsi, en 2019, en moyenne, 15 % du revenu des ménages, soit 6 800 euros par an.
Les gros efforts des actifs et des retraités
Parmi le 1 % des ménages qui assurent le plus fort taux d’effort (de 34 % sur les revenus), on compte 76 % de ménages modestes, dont des retraités, avec des restes à charge de 2 400 euros par an. Plus largement, les actifs en emploi sont surreprésentés
dans les ménages qui fournissent le plus d’efforts. Ils constituent les trois quarts des ménages
, indique la Drees, précisant que pour les ménages très modestes, les taux d’effort sont plus proches entre actifs en emploi et retraités (15 % et 14 %)
. Par ailleurs, alors que ces derniers mois était remise en question la pérennité de certaines ALD, la Drees montre que les plus modestes sont aussi, souvent, les plus concernés par ces affections de longue durée. Au sein des ménages fournissant le plus fort taux d’effort pour les soins, dans 39 % des cas (13 points de plus que dans l’ensemble des ménages), la personne la plus âgée est en ALD.
Entreprises : l’onéreux et inadapté soutien public
D ans le cadre de l’effort sur les finances publiques ― près de 44 milliards d’euros ― qu’envisageait pour 2026 le gouvernement Bayrou, les travailleurs étaient sévèrement visés. Contrairement aux entreprises, échappant une fois de plus à toute sollicitation. Or, celles-ci bénéficient d’aides publiques massives. En 2023, elles atteignaient 211 milliards d’euros, dont 88 milliards au titre des allègements de cotisations sociales, constatait en juillet le rapport d’une enquête sénatoriale. Celui-ci, pointant le manque de transparence et d’évaluation de ces aides, suggère, parmi vingt-six préconisations, qu’une entreprise rembourse certaines aides si elle délocalise son activité deux ans après en avoir bénéficié. Il recommande par ailleurs à l’État de diviser par trois d’ici 2030 le nombre des mesures (dépenses fiscales et subventions) qui sont accordées aux entreprises. Pour l’instant, l’exécutif a ignoré ces recommandations.
Fiscalité : les grands groupes, les grands gagnants
Tandis que l’arrivée de recettes supplémentaires doperait l’état des finances publiques, l’exécutif ne remet pas non plus en cause pour l’instant la fiscalité appliquée aux entreprises. Entre 2016 et 2022, le taux normal de l’impôt sur les sociétés (IS) a été abaissé de 33,3 % à 25 %, rappelle l’Insee. Sur la période, le taux implicite
brut d’imposition (charge réelle de l’impôt pour les entreprises par rapport aux profits que génère leur activité) a lui reculé de 3,2 points, à 17,5 % en 2022. La baisse de l’IS a beaucoup plus profité aux grandes entreprises qu’aux PME. Pour les premières, ce taux implicite a chuté de 5 points sur la période, s’établissant à 14,3 % en 2022. Pour les PME, il n’a diminué que de 1,7 point, avec un taux de 21,4 % en 2022.
Assurance chômage : toujours plus de précarité du fait des réformes
L’ acharnement de l’exécutif à attaquer les droits des demandeurs d’emploi semble sans limites. Après la réforme de 2023 qui a notamment réduit de 25 % la durée d’indemnisation par le biais de la contracyclicité, puis en 2024 une négociation budgétairement corsetée, les interlocuteurs sociaux ont de nouveau été invités en août dernier à se mettre autour de la table pour réaliser des milliards d’euros d’économies sur l’Assurance chômage. FO a décidé le 10 septembre de saisir le Conseil d’État pour contester la légalité de cette lettre de cadrage.
55 000 radiations par mois
Ces réformes impactent en premier lieu les plus précaires, contraints d’accepter un emploi généralement peu durable. En parallèle, les contrôles se renforcent et les radiations par France Travail augmentent : 55 000 en moyenne par mois en 2024, selon la Dares.
La situation est d’autant plus inquiétante qu’au deuxième trimestre 2025, le nombre d’inscrits à France Travail à la suite d’un licenciement économique a augmenté de 6,5 % sur un an.
Quant au nombre de chômeurs, du fait de la mise en œuvre de la loi Plein Emploi, il a augmenté de 6,6 % sur un an pour la catégorie A (sans emploi), et de 4,1 % pour les catégories A, B et C (activité réduite), selon la Dares. Le taux de chômage au sens du BIT, actuellement de 7,5 %, devrait remonter à 7,7 % fin 2025, selon l’Insee.
Les indicateurs d’une économie toujours atone
A lors que la France traverse une crise politique, la consommation des ménages, moteur de la croissance, reste en berne. Elle a encore baissé de 0,3 % en juillet dernier, selon l’Insee. Quant à l’emploi salarié, il a légèrement augmenté au deuxième trimestre 2025 (+ 0,2 %) après une quasi-stabilité au premier trimestre 2025 (- 0,1 %). L’emploi intérimaire connaît un léger réveil (+ 0,2 %) mais qui fait suite à neuf trimestres consécutifs de baisse. Il se situe encore loin (- 8,4 %) de son niveau d’avant la crise sanitaire.
Recul historique du niveau de vie
Côté salaires, les revalorisations seront moins élevées en 2025 que les années précédentes selon les prévisionnistes, du fait notamment d’un recul de l’inflation, à 0,9 % en août dernier selon l’Insee. Or en 2023 et 2024, les hausses de salaire n’ont pas compensé la forte inflation, entraînant un recul historique du niveau de vie selon Mathieu Plane, économiste à l’OFCE, cité par le journal Sud-Ouest.
Dans ce contexte, les ménages qui le peuvent préfèrent, par sécurité, conforter leur épargne. Le niveau de celle-ci bat des records. Elle a encore progressé de 0,3 point au deuxième trimestre 2025, pour atteindre 18,9 % du revenu disponible brut.
Retraités : le décrochage des pensions face à l’inflation
Envisagé pour 2026 par le gouvernement, désormais démissionnaire, le gel des pensions de base aurait conduit à une aggravation de la situation des retraités. Lesquels n’ont rien de nantis. Fin 2023, le montant moyen des pensions, tous régimes confondus, était de 1 666 euros brut, soit 1 541 euros net, selon une étude de la Drees parue fin juillet. Les récentes revalorisations n’ont pas su compenser l’inflation. Alors que celle-ci était de 3,7 % sur la période allant de fin 2022 à fin 2023, la pension brute moyenne a augmenté de 2,4 %, soit, en euros constants (intégration de l’inflation), une baisse de 1,2 % souligne l’étude.
Le niveau de vie en baisse
Par ailleurs, la Drees fait un constat allant à l’encontre du discours gouvernemental tenu ces derniers mois. En 2022, indique-t-elle, le niveau de vie médian des retraités est revenu à un niveau équivalent à celui de l’ensemble de la population, après lui avoir été supérieur pendant plus de quinze ans
. Ce niveau de vie, qui n’est donc pas supérieur à celui des actifs, serait encore impacté en cas de suppression de l’abattement fiscal de 10 % sur les pensions et de gel du barème de la CSG, mesures qu’envisageait le projet de François Bayrou.
Salaires dans le public : en finir avec un gel qui plombe l’attractivité des carrières
L es quelque 5,8 millions d’agents publics (fonctionnaires et contractuels) n’en peuvent plus d’être considérés par l’exécutif comme des variables d’ajustement budgétaire
. Après des hausses minimes, inférieures à 1 %, entre 2000 et 2010, les traitements indiciaires ont été gelés depuis 2011, hormis + 0,6 % en 2016 et 2017, puis en 2022 une hausse de 3,5 % (avec une inflation à 5,2 %) et en 2023 de 1,5 % (avec une inflation à 4,9 %).
Perte de pouvoir d’achat
Bilan de cette austérité salariale ? Une perte de 31,5 % de pouvoir d’achat sur la valeur du point en vingt-cinq ans, a calculé FO-Fonction publique, dénonçant le gel qui perdure en 2025. Annoncés le 15 juillet, les projets budgétaires du gouvernement, désormais démissionnaire, prônaient une année blanche pour les dépenses publiques en 2026 (soit des dépenses gelées, non revalorisées de l’inflation) , et donc, entre autres, un gel salarial imposé (une nouvelle fois) aux agents. Une mesure pour le moins paradoxale alors que l’exécutif prétend s’inquiéter de l’effondrement de l’attractivité des carrières publiques. Illustrant la dégradation salariale, l’Insee indiquait fin juillet qu’en 2023, le salaire net moyen en euros constants a diminué dans le versant de l’État de 0,4 % (- 1,7 % pour les fonctionnaires de catégorie B) après un recul de 2,2 % en 2022. Dans la territoriale, ce salaire a diminué de 0,9 % (- 1,2 % chez les fonctionnaires) après un recul de 1,1 % en 2022. À l’hôpital, la baisse a été de 0,9 % (- 1,4 % pour les fonctionnaires) après - 0,4 % en 2022. En mars, l’Insee avait par ailleurs souligné que le salaire net moyen dans la fonction publique était de 3,7 % inférieur à celui du privé.
Plus nécessaire qu’un alarmisme budgétaire, la hausse des recettes !
M ais que cessent les discours alarmistes
sur l’état des finances publiques, déclarent des économistes de l’OFCE (l’Observatoire français des conjonctures économiques). Ils entraînent une perte de confiance, entre autres, des ménages, lesquels renforcent alors leur épargne et consomment moins. Conséquences : moins de commandes pour les entreprises, donc moins d’emplois
, indique l’Observatoire qui alertait au printemps contre le risque découlant d’un plan budgétaire très sévère, soit « des effets récessifs, sur le marché du travail, le chômage ou encore le pouvoir d’achat
.
L’effet établi de la politique fiscale de l’offre
Plus largement, l’OFCE soulignait en juillet dans une étude consacrée à la dégradation des finances publiques françaises, par rapport à celles de ses voisins, que celle-ci n’est pas attribuable à une augmentation plus marquée des dépenses publiques (…), mais plutôt à une diminution significative des recettes publiques françaises (- 1,6 point de PIB), tandis que celles-ci sont restées stables au sein de la zone euro
. Cela renvoie à la poursuite de la stratégie de politique fiscale de l’offre engagée avec l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République en 2017
. Une politique comprenant notamment la baisse de l’impôt sur les sociétés, la poursuite des exonérations de cotisations sociales patronales et les réductions des impôts sur la production
, et s’accompagnant, liste l’OFCE, de la suppression de l’impôt sur la fortune, de celle de la première tranche de l’impôt sur le revenu, mais aussi de la taxe d’habitation, de la redevance audiovisuelle et de la défiscalisation des heures supplémentaires. Toutes ces réformes combinées ont conduit à une diminution de 2,5 points de PIB du niveau des prélèvements obligatoires entre 2017 et 2024
.
La grande menace de l’exil fiscal désamorcée
L’ augmentation de la fiscalité des très hauts patrimoines favorise-t-elle l’exil fiscal ? Pas vraiment, selon une étude publiée par le Conseil d’analyse économique et signée de six économistes français. Leurs calculs suggèrent que, si la fiscalité du patrimoine a bien un effet significatif sur l’exil fiscal, cet effet est relativement modeste, (...) de l’ordre de 0,1 % à 0,2 % de la population totale des hauts patrimoines
. De plus les effets sur l’activité économique à long terme demeurent faibles. Ainsi, une réforme qui augmenterait le taux effectif d’imposition des 1 % de détenteurs de capital les plus riches de 5,2 points de pourcentage (pour 4 milliards d’euros de recette fiscale supplémentaire attendue) entraînerait, au plus, une perte de chiffre d’affaires pour l’économie française de 0,029 %.
Lutter contre l’optimisation fiscale
Les auteurs notent toutefois que d’autres effets, plus importants, peuvent découler d’une réforme sur la fiscalité des hauts patrimoines. Des recherches, quoique peu nombreuses, révèlent en effet une augmentation des comportements d’optimisation sophistiqués chez les très hauts patrimoines, ainsi que l’utilisation généralisée des lacunes du système d’information et de contrôle des déclarations de patrimoine à des fins d’évasion fiscale
. Pour être efficace, on comprend qu’une réforme de la fiscalité devrait donc s’accompagner d’une meilleure lutte contre l’optimisation fiscale et de l’arrêt des suppressions d’emplois à la DGFIP. Deux revendications portées de longue date par FO.