Témoignage : quelle est sa valeur en justice ?

Libertés fondamentales par Patricia Drevon, Secteur des Affaires juridiques

La CEDH considère, en matière de droit pénal, que des déclarations anonymes peuvent servir d’élément d’information mais ne valent pas en tant que preuve principale de l’exactitude des accusations portées (CEDH, 20-11-89, Kotosvski/Pays-Bas, requête n°11454/85).

Pour la chambre sociale de la Cour de cassation, si des témoignages anonymes peuvent être produits en justice, elle estime que le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes (Cass. soc., 4-7-18, n°17-18241).

Dernièrement, elle a considéré que si le juge ne peut pas fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par l’employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence (Cass. soc., 19-4-23, n°21-20308)

L’attestation de témoignage peut se définir comme un témoignage écrit par lequel une personne atteste avoir été personnellement le témoin direct de quelque chose.

Selon les articles 200 et suivants du code de procédure civile (CPC), l’attestation de témoignage doit remplir les conditions suivantes (un formulaire Cerfa n°11527*03 est disponible sur Internet) :

  être écrite, datée et signée par le témoin lui-même :
  être accompagnée d’une photocopie recto/verso de tout document officiel justifiant de l’identité du témoin et comportant sa signature  ;
  reproduire, de la main du témoin, une formule précise rappelant les sanctions pénales en cas de faux témoignage.

Ces règles de forme ne sont pas prescrites à peine de nullité (Cass. 2e civ., 21-2-08, n°08-60022). Face à une attestation irrégulière en la forme, le juge du fond doit en apprécier la valeur probante. S’il entend écarter une attestation pour non-conformité, le magistrat doit préciser en quoi celle-ci n’est pas régulière (Cass. soc., 9-10-96, n°93-45604).

Toutefois, si le magistrat s’appuie uniquement sur certains témoignages, il n’est tenu ni de préciser l’identité de leurs auteurs, ni de s’expliquer sur les éléments de preuve qu’il a décidé d’écarter (Cass. soc., 18-6-14, n°12-35064).

Le salarié doit avoir été personnellement et directement témoin des faits. Pour constituer une preuve recevable, son attestation doit contenir le récit synthétique des faits dont il témoigne : les faits doivent être précis, datés et circonstanciés.

Une attestation insuffisamment circonstanciée, une attestation se contentant de relayer les propos du salarié ou de l’employeur ou des attestations reposant sur des éléments subjectifs, tels que des impressions, sera écartée par les juges (Cass. soc., 3-5-16, n°14–29297 : des attestations insuffisamment circonstanciées ne peuvent pas être prises en compte).

En tout état de cause, le juge apprécie la valeur probante du témoignage ; il peut toujours procéder, par voie d’enquête, à l’audition de l’auteur d’une attestation qui pourrait lui paraitre suspecte (Cass. soc., 24-9-08, n°07-42652).

Peu important la date de rédaction des attestations, le juge ne peut écarter les attestations au seul motif qu’elles sont postérieures au licenciement (Cass. soc., 31-5-06, n°05-43197).

Un salarié ne peut être ni sanctionné, ni licencié pour avoir témoigné en faveur d’un autre salarié. Une telle mesure est nulle en raison de l’atteinte portée à la liberté fondamentale de témoigner, sauf mauvaise foi de son auteur (Cass. soc., 29-10-13, n°12-22447). Dans le cadre d’une transaction, un salarié ne peut pas valablement s’engager à ne pas apporter son concours à une action en justice initiée par un autre salarié de l’entreprise.

Une attestation de témoignage d’un salarié ou du conseiller du salarié ayant assisté le salarié pendant l’entretien préalable est recevable (Cass. soc., 27-3-01, n°98-44666). Il appartient au juge du fond d’en apprécier la valeur et la portée.

Le code pénal sanctionne de 45 000 euros d’amende et 3 ans d’emprisonnement les personnes faisant pression sur un salarié pour obtenir une attestation en sa faveur (art. 434-15 du code pénal). Le faux témoignage est, quant à lui, puni de 15 000 euros d’amende et d’1 an d’emprisonnement (art. 441-7 du code pénal).

Lorsqu’une partie ne peut obtenir spontanément des témoignages (anonymes ou non), celle-ci peut recourir à la sommation interpellative pour obtenir un aveu ou un témoignage ou encore établir une mauvaise foi de son adversaire.

La sommation interpellative est l’acte par lequel un commissaire de justice interpelle directement un destinataire désigné en lui posant diverses questions, et recueille ses réponses et observations. La réponse fournie est ensuite opposable, notamment en justice.

L’éventuel refus de répondre est également consigné par le commissaire de justice. Dans ce cas, ce refus de répondre peut éventuellement être utilisé dans le cadre d’une action en justice.

En dehors de la production d’une attestation de témoignage, une partie peut demander aux juges de convoquer certaines personnes pour une audition. Il incombe à la partie qui demande une enquête d’indiquer les nom, prénoms et demeure des personnes dont elle sollicite l’audition. Tout membre de l’entreprise peut être appelé par le juge pour être entendu sans qu’il puisse être argué d’un lien de subordination ou d’une position hiérarchique pour s’y soustraire.

L’audition est une mesure d’instruction qui peut, en application de l’article 143 du CPC, être décidée d’office. Le juge n’est jamais tenu d’ordonner une mesure d’instruction (Cass. soc., 30-11-94, n°93-40368). La décision d’ordonner ou non une mesure d’instruction relève de son appréciation souveraine (Cass. soc., 13-5-97, n°95-41025). Dès lors qu’il estime que la mesure d’instruction sollicitée n’est pas utile à la manifestation de la vérité, le juge est fondé à refuser de l’ordonner (Cass. soc., 31-1-79, n°77-4984).

Attention, la mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve (art 146 alinéa 2 du CPC). Ce n’est donc qu’en présence d’un commencement de preuve établissant les faits allégués que le juge pourra, en complément, ordonner une mesure d’instruction (Cass. soc., 26-10-94, n°91-43617). Les juges apprécient souverainement la carence du demandeur dans la fourniture de la preuve (Cass. soc., 13-11-90, n°87-43542).

Patricia Drevon Secrétaire confédérale au Secteur de l’Organisation, des Outre-Mer et des Affaires juridiques

Secteur des Affaires juridiques Le secteur des Affaires juridiques apporte une assistance juridique à la Confédération dans sa lecture du droit et dans la gestion des contentieux.