Cass. soc. 2 juillet 2014
Syndicat national des cadres des industries chimiques CFE-CGC, Fédération CFE-CGC, société Yara France c/ Fédération nationale des industries chimiques CGT
N°13-14622 et N°13-14662, PBR
Faits et procédure
Le 4 janvier 2010 est signé un accord sur l’emploi des seniors entre la société Yara France et le syndicat national des cadres des industries chimiques CFE-CGC. La Fédération nationale des industries chimiques CGT, soutenant qu’il s’agissait d’un accord intercatégoriel que la CGC ne pouvait valablement signer seule, saisissait les tribunaux aux fins d’annulation de cet accord.
Par un arrêt du 22 janvier 2013, la cour d’appel de Versailles donnait gain de cause à la Fédération nationale des industries chimiques CGT et annulait l’accord sur l’emploi des seniors. La cour d’appel relevait que, compte tenu de ses statuts, la CGC n’avait pas la capacité juridique de signer seule un accord collectif intéressant toutes les catégories de salariés. La CGC et la société formaient alors un pourvoi en cassation. La CGC plaidait qu’un syndicat représentatif catégoriel peut signer seul un accord intéressant l’ensemble du personnel dès lors qu’il démontre qu’il remplit, tous collèges confondus, les règles de majorité nécessaires à la validité d’un accord. Ainsi, en vertu de cette position, la CGC, représentant 35% des suffrages tous collèges confondus, aurait dû être regardée comme un syndicat apte à négocier et signer seul un accord intercatégoriel.
La CGC soulevait également une discrimination prohibée entre organisations syndicales résultant de l’interdiction faite à un syndicat représentatif catégoriel justifiant de plus de 30% des suffrages exprimés tous collèges confondus de conclure un accord d’entreprise. Enfin, elle soutenait qu’un accord intercatégoriel signé par un syndicat catégoriel seul, n’est pas pour autant nul mais inapplicable aux catégories de personnel non visées par les statuts du syndicat catégoriel.
Question de droit
Un syndicat catégoriel représentatif peut-il négocier et signer seul un accord intercatégoriel ?
Solution de droit
Non, répond la Cour de cassation. En application du principe de spécialité, un syndicat représentatif catégoriel ne peut négocier et signer seul un accord intéressant l’ensemble du personnel, quand bien même son audience électorale, rapportée à l’ensemble des collèges électoraux, est supérieure à 30 % des suffrages exprimés. Cette interdiction n’est pas discriminatoire dans la mesure où les syndicats représentatifs catégoriels ne se trouvent pas dans la même situation que les syndicats représentatifs intercatégoriels, tant au regard des conditions d’acquisition de leur représentativité que de leur capacité statutaire à participer à la négociation collective.
Quant au moyen tiré de l’inopposabilité de l’accord d’entreprise aux seuls salariés non cadres, ce moyen n’ayant pas été soulevé devant les juges du fond, nouveau et mélangé de fait et de droit, il est irrecevable.
Commentaire
La Cour de cassation répond à une énième interrogation née de la loi du 20 août 2008. Cette fois-ci les interrogations ne portent pas sur une question de représentativité mais sur une question de négociation collective. Pour la première fois, la Cour de cassation exprime clairement qu’un syndicat catégoriel représentatif ne peut négocier et signer seul un accord intercatégoriel.
Cette solution découle de l’importance que la Cour de cassation donne aux statuts des syndicats. Effectivement, ce sont les statuts qui déterminent les critères d’appréciation de la représentativité [1]. De même, la capacité à négocier d’un syndicat dépend des dispositions statutaires [2].
1- Des statuts catégoriels
permettant un calcul de la représentativité privilégié
L’article L 2122-2 du code du travail dispose que Dans l’entreprise ou l’établissement, sont représentatives à l’égard des personnels relevant des collèges électoraux dans lesquels leurs règles statutaires leur donnent vocation à présenter des candidats les organisations syndicales catégorielles affiliées à une confédération syndicale catégorielle interprofessionnelle nationale qui satisfont aux critères de l’article L 2121-1 et qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel dans ces collèges, quel que soit le nombre de votants
.
Au regard de ces dispositions, nous pouvons donc comprendre que seules sont considérées comme catégorielles les organisations syndicales qui sont statutairement catégorielles. Il ne suffit pas d’une simple affiliation d’un syndicat à la CFE-CGC.
Afin d’être reconnus comme catégoriels, les statuts du syndicat ne doivent pas l’autoriser à présenter des candidats dans tous les collèges. Effectivement, si les statuts du syndicat impliquent que celui-ci représente l’ensemble des salariés, dans ce cas, il s’agira d’un syndicat intercatégoriel dont la représentativité sera calculée sur l’ensemble des collèges et non sur un seul.
Pour les syndicats intercatégoriels, le privilège de calcul de la représentativité sur un seul collège, comme par exemple celui de l’encadrement
, ne joue pas, quand bien même un syndicat aurait présenté des candidats que dans un seul collège (Cass. soc., 27-3-13, n°12-22733, FS-P+B).
En conséquence, nous pouvons en conclure que seuls comptent les statuts. Si les statuts donnent vocation à un syndicat à ne représenter qu’une catégorie du personnel, ce syndicat sera catégoriel et bénéficiera des règles plus avantageuses de calculs de la représentativité.
A ce sujet, Laurence Pecaut-Rivolier et Yves Struillou ont déclaré que Les statuts constituent bien la
.clef d’entrée
du régime spécifique de la représentativité défini par le législateur au bénéfice des syndicats catégoriels
Au regard de ces remarques, nous pouvons donc constater que les syndicats catégoriels bénéficient d’un réel avantage concernant le calcul de leur représentativité. Il est donc tout à fait légitime qu’une contrepartie existe quant à leur capacité de négocier et de signer des accords collectifs. C’est d’ailleurs ce que rappelle Laurence Pécaut-Rivolier : Le syndicat catégoriel bénéficie d’un avantage particulier pour pouvoir représenter efficacement certaines catégories précises de salariés. Mais en contrepartie, il ne peut prétendre représenter que ces catégories de salariés. Il est exclu qu’un syndicat puisse, en raison des circonstances, étendre son champ d’intervention à la représentation de tous les salariés alors même qu’il a délibérément choisi de se cantonner à la représentation de certains en particulier
[3].
2- Des statuts catégoriels
conférant une capacité de négociation limitée
Comme nous l’avons vu précédemment, les statuts ont un rôle déterminant dans le champ d’intervention des syndicats. En l’espèce, les statuts du syndicat CGC ne lui donnaient pas la capacité de représenter et de défendre les intérêts des ouvriers et des employés, collèges dans lesquels elle n’a d’ailleurs pas présenté de candidats
(CA Versailles, 22-1-13, RG n°12/00341).
Ainsi, il importe peu que ce syndicat représente 30 % des suffrages tous collèges confondus. Effectivement, la cour d’appel de Versailles (22-1-13, RG n°12/00341) avait indiqué que : L’appréciation de la représentativité, même si on applique le pourcentage de 30% sur l’ensemble des collèges ne permet pas de modifier la capacité juridique que le syndicat tient de ses statuts
.
Le principe de spécialité s’oppose catégoriquement à ce qu’un syndicat catégoriel qui ne représente, de par ses statuts, qu’une catégorie de personnel, puisse signer seul un accord intercatégoriel [4].
Déjà, sous l’empire de la législation antérieure à la loi du 20 août 2008, sous laquelle les règles de représentativité étaient différentes, la Cour de cassation avait considéré qu’En décidant que la CGC, reconnue représentative au plan national par l’arrêté du 31 mars 1966 pour les cadres seulement, pouvait signer un accord sur la durée du travail applicable à tout le personnel de l’entreprise, la cour d’appel a violé le texte susvisé
(Cass. soc., 7-11-90, n°89-10483).
Puis depuis l’entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008, les Hauts magistrats sont venus préciser l’articulation des règles suivantes : statuts/représentativité/capacité à négocier.
Ainsi, dans une précédente décision datant de 2011, la Cour de cassation avait laissé entrevoir ce qui allait être sa position. Sans se prononcer explicitement sur la possibilité pour un syndicat catégoriel de signer seul un accord intercatégoriel, elle avait affirmé qu’un syndicat représentatif catégoriel peut, avec des syndicats représentatifs intercatégoriels, et sans avoir à établir sa représentativité au sein de toutes les catégories de personnel, négocier et signer un accord d’entreprise intéressant l’ensemble du personnel, son audience électorale, rapportée à l’ensemble des collèges électoraux, devant être prise en compte pour apprécier la validité de cet accord (Cass. soc., 31-5-11, n°10-14391). Une lecture a contrario de la décision du 31 mai 2011 laissait donc sous-entendre qu’une telle signature, seule, n’était pas possible. Cependant des interprétations contraires de l’arrêt de la Cour de cassation ont laissé planer un doute sur cette question [5]. Le doute n’est désormais plus permis. La décision de la Cour figurera dans son prochain rapport annuel.
Ainsi, un syndicat catégoriel représentatif peut signer seul ou avec d’autres organisations syndicales intercatégorielles un accord catégoriel ; mais il doit nécessairement signer un accord intercatégoriel avec d’autres syndicats intercatégoriels. Comme le relève Lucien Flament, l’organisation catégorielle ne peut apporter sa légitimité électorale que si l’organisation intercatégorielle a apporté sa légitimité statutaire [6].
La solution dégagée par la Cour de cassation, totalement logique sur le plan juridique, n’est pas sans poser quelques difficultés d’ordre pratique.
Tout d’abord, dans certaines entreprises, la négociation collective pourrait se trouver bloquée lorsqu’il n’existe qu’une seule organisation syndicale catégorielle. Certains, comme Laurence Pécaut-Rivolier, s’interrogent sur la possibilité, dans ce cas, de négocier des accords intercatégoriels avec les représentants de la section syndicale, en l’absence dans l’entreprise, de syndicats représentatifs intercatégoriels [7].
Ensuite, la solution rendue par la Cour de cassation ne vise explicitement que la question de la signature d’un accord intercatégoriel mais il est probable que l’exercice du droit d’opposition réponde aux mêmes règles que la signature. Un syndicat catégoriel ne semble pouvoir s’opposer à un accord intercatégoriel que si d’autres organisations syndicales intercatégorielles s’y associent.
Enfin, la Cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur les règles de calcul de la représentativité en ce qui concerne la conclusion d’un accord collectif catégoriel. La question est de savoir si les suffrages pris en compte devront être seulement ceux du collège concerné par l’accord même pour les syndicats intercatégoriels.
Si la réponse devait être positive, il serait tout à fait légitime que, au niveau national et interprofessionnel, la voix de la CFE-CGC ne soit pas équivalente à celles des autres organisations syndicales…