Depuis 2008, les ruptures conventionnelles ont connu un franc succès (16% des fins de CDI en 2012 et plus de 26 700 ruptures conventionnelles [1] homologuées en moyenne par mois), notamment dans les petits établissements. Cet engouement reflète l’esprit de la loi du 25 juin 2008 : -les partenaires sociaux ont fait le choix de l’efficacité en aménageant une forte liberté contractuelle, tout en encadrant ce « divorce par consentement mutuel » par un formalisme procédural certain (entretiens préalables, droit de rétractation, homologation) et par la création de droits nouveaux pour le salarié (notamment le droit aux allocations chômage).
La Cour de cassation a cherché à préserver l’attractivité de ce mode de rupture en privilégiant la simplicité de son régime au travers de ses décisions. C’est dans cette ligne jurisprudentielle qu’intervient l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 23 mai 2013 (Cass. soc., 23 mai 2013, n°12-13.865, PBR). La question qui se posait, celle des conséquences de l’existence d’un litige préalable à la conclusion de la rupture conventionnelle, avait suscité un vif débat judiciaire entre cours d’appel. Retour sur un arrêt attendu...
En l’espèce, une avocate salariée avait reçu une lettre de reproches de son employeur listant un certain nombre de manquements professionnels qui apparaissaient « incompatibles avec le maintien de [ses] fonctions en l’état au sein de la société ».
À ce titre, l’employeur indiquait qu’avant d’engager une procédure unilatérale (licenciement) de nature à ternir le parcours professionnel de la salariée, il était plus opportun d’envisager la négociation d’une rupture conventionnelle. Cette convention a été signée puis homologuée par l’autorité administrative.
La salariée a par la suite demandé la requalification de la rupture conventionnelle en licenciement sans cause réelle et sérieuse [2]. La cour d’appel de Versailles a accueilli favorablement sa demande au double motif de l’existence d’un différend préalable sur les conditions d’exécution du contrat de travail et d’un vice de consentement du salarié, caractérisé par la menace d’un licenciement propre à ternir la poursuite de son parcours professionnel. L’employeur s’est alors pourvu en cassation.
La Cour de cassation confirme la solution de la cour d’appel, mais ne valide que partiellement le raisonnement : « Attendu que si l’existence, au moment de sa conclusion, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture conclue en application de l’article L.1237-11 du Code du travail, la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties. » En d’autres termes, la rupture conventionnelle suppose le plein consentement des deux parties. L’existence d’un conflit entre employeur et salarié sur l’exécution du contrat de travail (en l’espèce les manquements professionnels) ne constitue pas en elle-même un vice de consentement et n’empêche donc pas la conclusion d’une convention de rupture ; toutefois elle peut être à l’origine de pressions (en l’espèce la menace de licenciement et de son impact) visant ou aboutissant à extorquer le consentement du salarié. Le juge doit donc vérifier au cas par cas l’existence de telles pressions, et auquel cas prononcer la nullité de la convention de rupture au motif d’un vice de consentement. L’apport de cet arrêt consiste en la négation d’un lien d’automaticité entre différend préalable et vice de consentement.
Cette position diffère de celle retenue dans le cadre de l’ancienne rupture amiable [3], et pour cause ! Le dispositif légal de la rupture conventionnelle est déjà supposé« sécuriser » cette dernière, et la chambre sociale n’a « pas souhaité rajouter une condition qui n’existe ni dans l’ANI de 2008, ni dans la loi », indique Hervé Gosselin, conseiller à la chambre sociale de la Cour de cassation.
Cette solution était au demeurant prévisible, intervenant à la suite de l’arrêt du 30 janvier 2013 (Cass. soc., 30 janv. 2013, n°11-22.332) dans lequel la haute juridiction appliquait un raisonnement similaire : « la salariée était au moment de la signature de l’acte de rupture conventionnelle dans une situation de violence morale du fait du harcèlement moral ».
Une question demeure : quelles sont les effets de la nullité de la convention de rupture ? En validant la décision de la cour d’appel tendant à la requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse, la chambre sociale s’en tient à la demande du salarié. Elle ne s’est pas encore prononcée sur la possibilité d’invoquer la nullité de la rupture du contrat de travail du fait de la nullité de la convention de rupture.
À suivre...