UNE LIBERALISATION DE SECTEURS SANS PRECEDENT
En dehors de la convergence réglementaire et de la mise en place des tribunaux d’arbitrage (ISDS), le TTIP est également dévastateur en matière de libéralisation des secteurs. En effet, le projet de TTIP vise en priorité les barrières non tarifaires, c’est-à-dire les normes sanitaires, sociales ou environnementales qui font obstacle aux échanges commerciaux et à l’investissement. Les barrières douanières entre les États-Unis et l’Union européenne sont quant à elles déjà très faibles, bien que l’agriculture européenne reste protégée par des tarifs sur les produits laitiers, la viande et le sucre qui sont également visés. Mais dès le début des négociations, le gouvernement américain a fait savoir qu’il souhaitait utiliser le TTIP pour ouvrir le marché des services européens aux entreprises américaines et spécifiquement régler la question des monopoles attribués dans le domaine des services publics. Outre la suppression des barrières tarifaires et non tarifaires, le projet de TTIP vise la libéralisation des investissements, l’ouverture des marchés publics et la protection des droits de propriété intellectuelle.
La Commission européenne elle-même vise explicitement à inclure un maximum de services dans le projet de TTIP, dont des services publics ou d’intérêt général, en n’excluant clairement que des services liés aux fonctions régaliennes tels que la justice, le contrôle des frontières ou le contrôle aérien. Le TTIP représente le projet de traité qui va le plus loin dans la libéralisation des services dans l’histoire de la politique commerciale européenne, son impact exact sur les services publics est donc difficile à prévoir avec précision, mais il est certain que cela sera dévastateur.
Sans chercher l’exhaustivité (les questions de la propriété intellectuelle, de la protection sociale ou de certains services publics auraient pu être également développées), les pages qui suivent visent à démontrer que la quasi-totalité des secteurs d’activités européens sont directement menacés par le TTIP.
ENVIRONNEMENT : AVEC LE SOCIAL, DEUX ESPECES EN VOIE D’EXTINCTION
Concernant l’environnement, deux conceptions antagonistes s’affrontent. D’un côté, une vision progressiste dans laquelle la prise en compte de l’environnement constitue une plus-value à bien des niveaux y compris en matière d’amélioration des conditions de travail. De l’autre, le libre-échange qui conduit à percevoir l’environnement comme une contrainte à supprimer : remettre en cause les critères environnementaux des marchés publics, ou encore des dispositions réglementaires ou normatives qui imposent des spécificités écologiques. De ce point de vue, la libéralisation du commerce international considère que les piliers sociaux et environnementaux du développement durable ne peuvent en aucun cas freiner ou restreindre le pilier économique.
Plus spécifiquement, en matière normative, là aussi deux cultures s’opposent que la mise en place du TTIP va exacerber : au niveau européen, il faut prouver, par exemple, la non-dangerosité avant l’utilisation d’une mise sur le marché alors qu’outre-Atlantique tant que la dangerosité n’est pas établie il n’y a pas d’interdiction possible. Ainsi, plusieurs règlements européens, comme par exemple REACH sur les produits chimiques [1], pourraient ne plus avoir d’intérêt si une démarche totalement contraire coexiste. Pour rappel et à titre d’exemple, 1328 produits chimiques dans les cosmétiques sont interdits dans l’ensemble de l’Union européenne, face à 11 aux États-Unis. À nouveau, comment croire que la convergence réglementaire évoquée précédemment, puisse se faire sans abaissement du niveau de protection des citoyens en Europe ?
Dans ces conditions, les politiques publiques et règlements européens ou nationaux en matière environnementale sont parmi les plus menacés du fait du TTIP. Les normes environnementales sur différents sujets comme la qualité de l’air, la qualité de l’eau, les produits chimiques, les perturbateurs endocriniens, etc., pourraient ainsi être réduites par la convergence réglementaire et un alignement européen sur les normes américaines.
UN ENVIRONNEMENT INSTABLE FAVORABLE AUX INNOMBRABLES RECOURS
Par ailleurs, au niveau d’accords de libre-échange existants, les tribunaux d’arbitrage privés sont déjà intervenus pour contester des obligations environnementales. Le groupe américain Renco, déjà évoqué, a porté plainte contre la limitation des émissions toxiques au Pérou et a fait retirer cette législation. L’entreprise Chevron a attaqué l’Equateur pour échapper à ses obligations de décontamination de l’eau et des terres autour de ses sites pétroliers. Ou encore sur la base de l’ALENA déjà évoqué, la société américaine Lone Pine Ressources Inc. a demandé 250 millions de dollars de compensation au Canada pour avoir décrété au Québec un moratoire sur l’extraction d’huile et de gaz de schiste en raison du risque environnemental de cette technologie, ce qui, selon l’entreprise, est contraire à l’ALENA.
Les positions de Force Ouvrière
Rien qu’au travers des conditions de travail des salariés et par l’accès aux ressources vitales, les politiques de protection de l’environnement sont une nécessité. Pour Force Ouvrière, les questions liées à l’environnement ne doivent pas être idéologiques. Sur ces domaines, l’intervention publique est primordiale comme en matière de santé, par exemple. Les principes de précaution et d’innovation peuvent parfaitement se conjuguer, comme n’a de cesse de le défendre FO. Avec le TTIP, l’environnement est relégué au rang de contrainte qu’il ne faut prendre en compte qu’une fois les accidents et dommages survenus.
Outre l’affaiblissement de la prévention et de l’action publique, c’est rentrer dans une inégalité perpétuelle, soumise aux aléas des jurisprudences et c’est prendre le risque d’accidents du travail et de fermetures définitives d’activités et d’emplois, faute d’avoir voulu concilier règlementairement les dimensions sociales et environnementales.
Plus proche de nous, le groupe suédois Vattenfall a remis en cause le niveau d’exigence environnementale de la ville d’Hambourg qui mettait simplement en œuvre la directive européenne sur les eaux usées. En effet, la ville d’Hambourg a accordé un permis de construire en 2007 à Vattenfall pour son projet de centrale à charbon moyennant des restrictions environnementales afin de protéger les eaux de l’Elbe. En 2008, pour se conformer aux exigences réglementaires européennes, la ville d’Hambourg introduit de nouvelles réglementations dans le contrat à respecter. Vattenfall s’y oppose en déclarant que ces nouvelles réglementations rendent leur projet non viable. En 2011, la ville d’Hambourg finit par céder et autorise un permis de construire ne prenant pas en compte les éléments exigés par la directive européenne.
Plus récemment, un conglomérat minier australo-canadien a déposé une plainte devant un tribunal d’arbitrage contre l’État du Salvador suite à un refus de l’État d’octroyer un permis d’extraction dans le but de protéger de la pollution la seule source d’eau potable du pays. Afin de se prévaloir de l’accord de libre-échange passé entre cet état et les États-Unis, l’entreprise a installé une filiale aux États-Unis et réclame aujourd’hui à l’État du Salvador plus de 300 millions d’euros.
ENERGIE : UNE OBSOLESCENCE PROGRAMMEE AVEC CE TRAITE
Plusieurs motifs sont invoqués par la Commission européenne pour justifier l’intégration de l’énergie (et des matières premières) dans l’accord en cours de discussion :
- Le domaine de l’énergie ne serait pas complètement couvert par les règles internationales de commerce et d’investissement élaborées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) alors que la demande mondiale en ressources énergétiques va croître et que les chaînes d’approvisionnement sont complexes.
- Les tensions entre la Russie et l’Union européenne suscitées par le conflit en Ukraine et la prise de sanctions économiques réciproques ainsi que, la recherche d’une sécurisation des approvisionnements énergétique par une réduction de la dépendance vis-à-vis des livraisons de gaz russe et une diversification des fournisseurs.
Le commerce de l’énergie est un commerce d’une nature particulière qui le différencie du commerce des produits manufacturés. En effet, il s’agit d’un commerce qui soulève des questions politiquement sensibles comme celles de la souveraineté des États sur leurs ressources et qui pour une partie concerne des ressources naturelles et épuisables.
DEJA DEPENDANTE, L’UNION EUROPEENNE TOUJOURS PLUS FAIBLE
L’Union européenne, premier importateur d’énergie au monde, est très dépendante de l’extérieur pour son approvisionnement énergétique ce qui la rend vulnérable aux ruptures causées par des différends commerciaux, politiques ou à une défaillance de l’infrastructure. Elle importe 53 % de l’énergie qu’elle consomme, 90 % de sa consommation de pétrole brut et 66 % de sa consommation de gaz naturel.
La situation n’est pas homogène : certains États membres de l’Union Européenne sont entièrement dépendants de la Russie (pays Baltes, Finlande, Bulgarie et Slovaquie) alors que la France est, quant à elle, dans une situation de faible dépendance grâce à l’énergie nucléaire.
De ce fait, il est paradoxal et dangereux que les États européens aient accepté, dans le cadre du mandat confié à la Commission européenne, que l’énergie soit un des domaines libéralisés à travers le TTIP. Cela est d’autant plus aberrant que l’Europe manque toujours d’une véritable politique énergétique européenne alors qu’il s’agit là d’un enjeu crucial voire vital pour l’avenir européen. Or, en face, l’énergie fait clairement partie des priorités fédérales des États-Unis.
UNE DEFERLANTE AMERICAINE PRETE A S’ABATTRE SUR LES MARCHES EUROPEENS
Depuis 1973, les États-Unis s’interdisent d’exporter des hydrocarbures considérés comme des produits stratégiques relevant de la sécurité nationale. Cette interdiction souffre de deux exceptions : la première lorsque le pays a conclu avec les États-Unis un accord de libre-échange, la deuxième, lorsque le Président américain autorise certaines exportations au nom de la sécurité nationale. Les compagnies productrices américaines se livrent à un lobbying intensif auprès de leur gouvernement afin de lever l’interdiction de l’exportation ou de signer au plus vite l’accord du TTIP.
Les positions de Force Ouvrière
Incontestablement, pour Force Ouvrière, l’intégration d’un volet énergie dans le TTIP est suicidaire pour l’Europe et les 28 États membres. Outre la question de l’indépendance énergétique (qui s’affaiblit d’autant plus que l’on s’efforce pour des questions politiciennes et idéologiques de réduire la part du nucléaire dans la production d’énergie européenne), l’importation d’énergies américaines conduit à supprimer des emplois en Europe, à accroître le coût de l’énergie tant pour les particuliers que pour les entreprises, et à se retrouver dépendant d’une production ne respectant aucun des critères environnementaux mis en place en Europe. Suicidaire et stupide.
Au final, ce que les États européens semblent n’avoir pas perçu c’est que laisser l’énergie dans le projet de TTIP, c’est permettre aux États-Unis d’inonder le marché européen :
- Pas de matières premières en Europe, alors qu’il en existe de multiples outre-atlantique ;
- Des normes environnementales contraignantes en Europe, quasiment aucune pour produire de l’énergie à bas coût aux États-Unis ;
- Aucune coordination ni politique européenne en Europe, une véritable stratégie d’intervention publique des États-Unis envers ses entreprises tant dans l’exploitation intensive des ressources naturelles (gaz de schiste) que dans les énergies renouvelables (la fabrication de panneaux photovoltaïques est soutenue financièrement à hauteur de 5 milliards de dollars de subventions) ;
- Une absence de mix énergétique européen face à l’un des principaux producteurs d’électricité renouvelable et leader mondial dans les filières éolienne, biomasse, géothermique et héliothermodynamique.
AGRO-ALIMENTAIRE : UN TRAITE DIFFICILE A DIGERER
La question des tarifs douaniers est très sensible pour l’agriculture. Si l’on considère uniquement les produits agricoles et agro-alimentaires, les droits de douane sont aujourd’hui à 5,4 % en moyenne côté américain et à 10,1 % en moyenne côté européen, ce qui est relativement bas. Mais lorsque la comparaison est réalisée dans le détail, les droits de douanes agricoles européens sont très élevés sur la viande bovine : 45 % sur la viande de bœuf, 97 % sur la viande de bœuf désossée, 147 % sur les abats comestibles. Ces différences de droits de douanes existent aussi dans d’autres catégories, par exemple les produits alimentaires transformés avec 14,6 % dans l’Union européenne contre 3,3 % aux États-Unis.
LE CHOC DES GARGANTUAS : FERMES AUX 1000 VACHES VS ROQUEFORT
Il est à souligner également des modes de production divergents de part et d’autre de l’Atlantique. En effet, la surface américaine étant bien plus grande que la France, les pratiques intensives en matière agricole et d’élevage sont la norme aux États-Unis. Ainsi, pour prendre l’exemple de la filière bovine ou bien de viande de volaille, la France parle d’intérêt défensif du fait du différentiel de compétitivité.
Trois possibilités sont à l’étude actuellement en matière de libéralisation du domaine agroalimentaire dans le TTIP : soit une libéralisation totale dès l’entrée en vigueur de l’accord, soit au bout d’une période de trois ou sept ans, soit un contingentement, solution préconisée par la France. Mais la taille des exploitations américaines, où le modèle des exploitations de plus de 1000 vaches par exemple est très répandu, fait que l’excédent de production américaine suffirait de lui-même à couvrir le contingent potentiellement imposé par l’Union européenne en la matière. A la limite, plus besoin d’aucun élevage en Europe, la surproduction américaine suffit, dès à présent, à combler les besoins européens.
Un autre point d’achoppement concerne tout ce qui relève des indications géographiques protégées. D’un côté, il y a la protection d’un terroir, de l’autre la protection d’une marque commerciale. Aux États-Unis, en effet, les marques commerciales sont soumises à un cahier des charges. En Europe, on protège le terroir par une série d’indications protégées (les AOC en France). Les États-Unis considèrent qu’après un certain nombre d’années, certains grands noms de l’agroalimentaire liés à un terroir et à une méthode de production spécifique tombent dans le domaine public et ainsi la marque, si elle est soumise à un cahier des charges précis, peut être produite aux États-Unis sous le même nom. C’est ainsi que du Roquefort, de la Mozarelle, de la Feta ou encore du Champagne sont produits sous ces noms aux États-Unis. Les lobbies alimentaires américains et 177 membres du Congrès américain ont affirmé clairement qu’il n’est pas question qu’on les empêche de produire cela aux États-Unis et qu’il est fondamental dans les négociations que le gouvernement américain « préserve les opportunités domestiques et d’exportation pour ces produits » [2]. Pour une illustration de ce qui menace les filières, l’analyse de l’accord Ceta ne manque pas d’inquiéter : l’Union européenne a réussi à faire accepter au Canada le principe d’AOP, mais elle n’a obtenu de reconnaissance que pour 144 appellations, soit environ 10 % du total.
Avec le TTIP, ces imitations pourraient envahir le marché européen. Il en résulterait une confusion importante du consommateur qui pourrait acheter du Champagne sans même savoir qu’il n’est pas produit dans le Nord-est de la France s’il ne se soumet pas à une lecture rigoureuse de l’étiquetage du produit en faisant ses courses et perd ainsi un gage d’assurance et de qualité. Quant aux producteurs, c’est tout un savoir-faire qui est menacé par cette forme de contrefaçon. Ils se retrouvent ainsi à devoir faire face à une politique commerciale agressive mettant en péril leur production face à des géants de la production de masse. Enfin, c’est tout le système des indications géographiques protégées qui est remis dans la balance alors qu’il assurait la sauvegarde de certaines filières dans certains pays, comme les filières fromagère ou vinicole en France.
SUPPRESSION DES BARRIERES SANITAIRES : ATTENTION A CE QUI POURRAIT S’EN ECHAPPER
Au-delà des droits de douanes, le TTIP pourrait remettre en cause les différences des pratiques agricoles entre les États-Unis et l’Europe : bœuf aux hormones (qui a déjà fait l’objet d’une longue bataille devant l’OMC), traitement à l’eau chlorée des carcasses de volaille… Les salariés de la filière sont déjà menacés comme le montrent les successions de fermetures d’abattoirs. Et cela s’intensifiera si le poulet chloré devient autorisé à l’importation… Or le poids des lobbies sur le TTIP est important pour remettre en cause ces règles de sécurité alimentaire comme le prouve en 2014, le lobby américain du poulet (National Chicken Council) qui ne cachait pas son souhait de voir « supprimées ces barrières sanitaires et phytosanitaires que l’Europe a mis en place depuis presque 18 ans ». De plus, comme évoqué précédemment en matière environnementale, au niveau européen, grâce au principe de précaution, il faut prouver, par exemple, la non-dangerosité d’un produit avant sa mise sur le marché alors qu’outre-Atlantique tant que la dangerosité n’est pas établie il n’y a pas d’interdiction possible.
Les positions de Force Ouvrière
Comme Force Ouvrière l’a déjà indiqué, en particulier au gouvernement français et à la Commission européenne, l’accord de libre-échange ALENA entre les États-Unis, Canada et Mexique a montré les conséquences désastreuses que pouvaient avoir ces accords sur l’agriculture avec une destruction de filières agricoles au profit d’un nombre limité de firmes multinationales : inondation du marché local par des produits à prix inférieur au coût de production local, dumping agricole, concentration des richesses et même émeutes de la faim par rapport au prix de la tortilla au Mexique.
C’est donc à la fois des emplois et des savoirs-faire contribuant à un patrimoine gastronomique de renommée mondiale qui se retrouvent menacés d’anéantissement. Idem pour la sécurité alimentaire du fait d’une logique de moins-disant sanitaire et environnemental.
La sécurité alimentaire aussi bien en Europe qu’aux États-Unis est en danger avec le TTIP. A titre d’illustration, la ractopamine, un médicament utilisé pour gonfler la teneur en viande maigre chez les porcs et les bovins, est aujourd’hui bannie dans de nombreux pays : Union européenne, Russie, Chine… Le Conseil national des producteurs de porc américains menace clairement : « Les producteurs de porc américains n’accepteront pas d’autre résultat que la levée de l’interdiction européenne de la ractopamine ». Mais réciproquement de l’autre côté de l’Atlantique, Business Europe (association patronale européenne) dénonce les « barrières qui affectent les exportations européennes vers les États-Unis, comme la loi américaine sur la sécurité alimentaire ».
De même, en matière de nettoyage des carcasses de viande, l’Union européenne a déjà prouvé que les pressions de l’agrobusiness américain provoquent depuis de nombreuses années des reculs sur les normes alimentaires européennes, conduisant notamment à la réintroduction de l’acide lactique en la matière. Du fait du TTIP, toujours dans les acides permettant le nettoyage des carcasses, la filière viande française s’inquiète aujourd’hui d’un nouveau recul de l’Union européenne par autorisation de traitement des carcasses par acide péracétique, molécule toxique pour la faune aquatique qui pourrait être retrouvée en forte quantité dans les eaux de surface, jusqu’à 32,5 fois la dose jugée sans risque. Autre danger, celui de l’émergence de bactéries résistantes au produit lui-même, mais aussi aux antibiotiques.
SANITAIRE & SANTE : PAS DE MEDICAMENT POUR ENDIGUER CETTE PANDEMIE ULTRALIBERALE
En déployant encore plus l’idéologie du libre-échange sans régulation, le TTIP pourrait percuter une partie de notre modèle social notamment au niveau de l’assurance maladie. Face aux fondements solidaires et universels de la sécurité sociale, le système américain est basé sur une logique d’individualisation des droits, inégalitaire par essence, dans un système assurantiel. Ainsi, le risque est réel de voir les groupes internationaux d’assurances utiliser le TTIP pour accroître leurs forces de frappes déjà existantes contre la sécurité sociale collective et républicaine.
AVEC LE VIRUS ISDS, LA CONTAMINATION PAR LES ASSUREURS SE PROPAGE
Au-delà du contenu du traité lui-même, c’est bien à nouveau les ISDS qui constitueront le bras armé de ces multinationales assurantielles. À titre d’exemple, en 2012, l’assureur néerlandais Achmea a obtenu d’un tribunal d’arbitrage un dédommagement de 22 millions d’euros de la part de la Slovaquie : la compagnie d’assurance s’était appuyée sur un accord entre les Pays-Bas, la Tchécoslovaquie et la Slovaquie afin de contester la décision du gouvernement slovaque de remettre en cause la privatisation de la santé et de limiter les profits des assureurs.
Comme précédemment évoqué dans la partie « Tribunaux d’arbitrage (ISDS) : quand les justices privées enterrent l’intérêt général »), l’exemple du cigarettier Philip Morris contre l’Australie ou l’Uruguay montre que les ISDS peuvent aussi conduire à contrecarrer les politiques publiques sanitaires ayant vocation à protéger la santé des citoyens et des consommateurs. Il peut s’agir de politiques nationales contre le tabac ou l’abus d’alcool ou tout simplement l’interdiction de certains produits toxiques comme par exemple le bisphénol A.
L’accord de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique (ALENA), encore lui, a permis à un industriel d’imposer à l’État canadien d’autoriser à nouveau un neurotoxique que ses textes règlementaires avaient précédemment interdit. Ainsi, les accords de libre-échange via les ISDS ne font pas que bloquer des législations, mais forcent également les États à revenir sur celles-ci, y compris en matière de santé. En 2014, la Directrice Générale de l’Organisation Mondiale de la Santé a d’ailleurs exprimé ses réserves à propos des effets potentiellement néfastes sur la santé publique des nouveaux accords régionaux, le TTIP y compris.
MIEUX VAUT ETRE EN BONNE SANTE AVEC LE TTIP
Et il n’existe aucun médicament pour endiguer cette pandémie ultralibérale. Même l’industrie pharmaceutique compte bien utiliser le TTIP à des fins purement économiques. Concernant la fixation des prix des médicaments remboursés, la législation européenne renvoie aux agences nationales la régulation de ces prix. Or, dès à présent, l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et la Corée du Sud remet en cause cette disposition européenne. Le TTIP pourrait lui-aussi élargir cette possibilité aux multinationales américaines. Il est aussi à craindre que le TTIP puisse contredire d’autres éléments de la politique de santé qui concerne les médicaments comme par exemple l’interdiction de la publicité des médicaments remboursés, par souci de compétitivité vis-à-vis des médicaments non remboursés qui seraient soi-disant victimes de distorsion de concurrence.
Les positions de Force Ouvrière
Pour Force Ouvrière, ces craintes sur les droits fondamentaux de la sécurité au travail bouclent la boucle avec l’attaque globale contre la sécurité sociale collective déjà mentionnée. Tous ces risques, dont certains connaissent déjà des réalités du fait d’autres accords du libre-échange conduiraient à un recul historique des droits des travailleurs et aurait des conséquences désastreuses en termes non seulement de santé au travail mais aussi de santé publique.
Enfin, la santé et la sécurité au travail sont régulièrement remises en cause par le patronat au motif qu’il s’agit de freins à la compétitivité et à l’efficience de production. D’ores et déjà, la Commission européenne lance un programme Regulatory Fitness and Performance (REFIT) pour réduire toutes les « contraintes administratives » et pour la mise en place d’un « cadre réglementaire clair, stable et prévisible, favorable à la croissance et à l’emploi ». Le programme vise notamment la révision ou la suppression d’un certain nombre de directives et de règlements concernant la santé et la sécurité au travail. En France, plusieurs des 150 mesures déjà prises afin de simplifier « la vie des entreprises » vont dans ce sens. Ces décisions européennes ou françaises affaiblissent les conditions de sécurité des travailleurs. Elles seront d’autant plus facilement attaquables face à litige d’une multinationale américaine dans un ISDS.
LES MARCHES PUBLICS : UNE OUVERTURE A SENS UNIQUE
Pour ses promoteurs, il est courant de présenter le TTIP comme une disposition qui permettra aux entreprises européennes de pouvoir répondre aux appels d’offre publics aux États-Unis et ainsi pallier au déséquilibre existant entre l’Union Européenne et les États-Unis. En effet, actuellement, seuls 35 % des marchés publics sont ouverts aux étrangers outre-Atlantique contre 85 % en Europe. Cet état de fait est majoritairement le fruit d’une politique américaine protectionniste, notamment avec le « Buy American Act ».
Cette démarche d’ouverture des marchés publics pourrait être séduisante pour les européens et les entreprises européennes mais comporte une incertitude majeure. En effet, bien que le principe ait reçu l’aval des deux parties, l’application d’une telle disposition du TTIP n’est toujours pas éclaircie au niveau des 50 États fédérés américains. En résumé, si l’ouverture de principe peut se faire au niveau fédéral, l’absence concrète d’application au niveau des États fédérés aurait des conséquences désastreuses pour l’Union européenne : les marchés publics en Europe seraient encore plus ouverts suite au TTIP alors que l’essentiel des marchés publics américains resteraient fermés. Rien de tel pour accentuer le déséquilibre préexistant.
Par ailleurs, le TTIP peut avoir des conséquences sur les conditions qui aujourd’hui peuvent être utilisées dans les commandes publiques : utilisation de produits régionaux, recours à des travailleurs locaux, etc. La disparition des règles de préférence nationale pour les commandes publiques aurait ainsi un impact important sur l’emploi et les marchés locaux.
DERRIERE L’OUVERTURE, LA FERMETURE DE SERVICES PUBLICS
Enfin, le principe d’ouverture des marchés publics pourrait aussi avoir de graves conséquences sur les services publics. À ce jour, il existe encore des petites possibilités d’éviter le dogme du « tout marché ». C’est par exemple le cas en France, l’État intervient gratuitement auprès de collectivités pour compenser les déficiences du marché ou encore les mandats de service public qui peuvent être attribués au niveau du logement social ou d’instances paritaires comme l’Apec (Agence Pour l’Emploi des Cadres).
Les positions de Force Ouvrière
Pour Force Ouvrière, l’ouverture des marchés publics n’est pas synonyme de marchés nouveaux aux États Unis pour les entreprises européennes. Car ce marché reste fermé du fait de conditions ultra-protectionnistes. En revanche, ce sont bien des spécificités de l’action publique des États européens qui seront remises en causes, voire supprimées. Ce sera particulièrement le cas en France où le poids des services publics et de la commande publique dans l’économie est très important.
Cette situation d’ouverture asymétrique au détriment des marchés publics européens est dénoncée par FO. En effet, la vulnérabilité de l’accès public européen et français conduit à fragiliser les entreprises et en premier lieu les plus petites. Cela entraînera également la destruction d’emplois locaux, particulièrement dans les départements ruraux où 70 % de l’emploi privé est directement dépendant de l’intervention publique.
Ces dispositions permettent, à travers des aides d’État, de sanctuariser certaines activités dont le coût augmenterait pour les usagers et citoyens si elles étaient livrées aux lois du marché. Avec le TTIP, une entreprise pourra venir contester cette intervention publique, au motif que ces activités relèvent des marchés publics et doivent être ouverts à la concurrence. Ce risque apparaît de façon sibylline dans un document du lobby patronal Le Cercle de l’industrie qui fixe ses attentes pour le TTIP : « engage les États-Unis à faire preuve de transparence concernant les aides publiques allouées aux entreprises américains à tous les niveaux de l’État (État fédéral, agences, États fédérés, etc.), afin de susciter en Europe une réflexion sur les modalités actuelles du contrôle des aides d’État. »
Enfin, les logiques d’achats locaux collectifs dans les marchés publics (par exemple cantine des écoles, des universités, des sites d’entreprises, etc.) sont menacés par les traités de libre-échange. Ce sont donc les circuits courts favorisant l’agriculture locale et nationale qui ne pourront plus être portés par les autorités publiques !
CULTURE : UNE MASSIFICATION SANS EXCEPTION
Le projet de TTIP oppose clairement des visions et des modèles culturels très éloignés les uns des autres, les États-Unis considérant de longue date ces activités culturelles comme de puissantes industries à part entière. Illustration inquiétante de ce mode de pensée, les États-Unis ne sont pas signataires de la convention UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptée à Paris en 2005 et à laquelle adhérent désormais plus de 130 pays…
LA CULTURE LIBERALE VEUT LIBERALISER LA CULTURE
En juin 2013, la France obtenait de la part de ses partenaires européens l’exclusion des activités audiovisuelles du mandat de négociation de la Commission européenne dans le cadre du TTIP. Le gouvernement français apparaissait alors comme le chantre de l’exception culturelle en résistant simultanément aux pressions de l’Allemagne et du Royaume-Uni au point de menacer de mettre son veto au démarrage officiel des pourparlers avec les États-Unis si ces services étaient maintenus dans les domaines à libéraliser.
Suite à la publication début janvier 2015 de documents relatifs au contenu des négociations entre l’Union Européenne et les États-Unis, la sérénité du monde culturel n’est plus de mise. D’une part, il a toujours été clair du côté de la Commission européenne que ce mandat demeurait ajustable à tout moment et que par conséquent ces domaines étaient susceptibles de réintégrer le périmètre des transactions dans le cadre de la recherche d’un compromis. D’autre part, si certaines activités semblaient jusqu’à présent effectivement hors-champs (cinéma, audiovisuel), d’autres ne se sont jamais vraiment senties à l’abri. C’est le cas de l’ensemble du secteur de l’édition et plus généralement de tous les professionnels concernés par le droit d’auteur.
En effet, la Commission européenne, en juillet 2014, a fait part de sa volonté de « briser les barrières nationales en matière de réglementation des télécoms, du droit d’auteur, et de la protection des données » afin de « faire un meilleur usage des opportunités offertes par les technologies digitales, lesquelles sont sans frontière ». Il s’agirait donc d’harmoniser les réglementations dans ces domaines au niveau européen et la négociation du TTIP tombe à pic pour accélérer le processus. Or, en pratique l’édition est déjà confrontée aux effets de la révolution numérique sur les modes de consommation du livre et doit faire face à la concurrence de géants américains qui bousculent les règles du jeu – ou s’en affranchissent.
DES CULTURES LIBRES A LA CULTURE IMPOSEE
Entre la lutte contre les barrières à l’entrée sur les marchés qui constitue le cœur même des objectifs du TTIP et la garantie supposée préservée de financer la production culturelle via des subventions ciblées, c’est le mode actuel de régulation européen comme français du secteur qui pourrait demain être contesté au nom de la libre concurrence. Et la Commission européenne semble bien tenir sur ce point un double langage au gré des circonstances et des interlocuteurs.
Là encore, et ce malgré de nombreuses interpellations, le ministère de la culture s’avère incapable de fournir des réponses précises sur le cadre d’exemptions qui se dessine, preuve s’il en est que la négociation n’est pas figée et que les digues de l’exception culturelle peuvent encore sauter. Si le secteur du livre paraît le plus menacé, toutes ces incertitudes autour du droit d’auteur ont également contribué à raviver les craintes du monde du cinéma. D’où un regain de mobilisation à travers un appel de cinéastes européens [3]en avril 2015 en faveur de la protection du droit d’auteur et d’une meilleure diffusion des œuvres européennes en Europe.
Derrière cette harmonisation, ce sont les subventions au secteur du livre qui pourraient être visées mais aussi des politiques publiques nationales telles que le prix unique ou le droit de prêt dans le cas français. À ce jour, le ministère de la culture français ne fournit pas de réponse sur ces menaces.
Les positions de Force Ouvrière
Pour FO, derrière cette perte d’identités et de spécificités culturelles, ce sont aussi des emplois qui vont disparaître, avec la logique de mutualisation et de rationalisation chère aux majors qui mettent en musique cette culture de masse. En France, 20 % des emplois des secteurs concernés se retrouvent d’ores et déjà fragilisés par cette internationalisation de la culture. Par ailleurs, c’est l’ensemble d’un système culturel organisé autour d’interventions et d’aides publiques qui se retrouve menacé d’extinction.
Avec le TTIP, adieu films indépendants comme « Louise Michel » et bonjour les seuls « Terminator 8 » et « Fast and Furious 14 ».
Adopter le TTIP, c’est généraliser la pensée unique, de l’économique à la culture.
L’avènement de l’ère numérique sert manifestement de prétexte technologique pour justifier un traitement normalisé des biens et services culturels au même titre que les autres biens de consommation. Pourtant la marchandisation de la culture, comme celle de la santé ou de l’éducation, renvoie à des enjeux qui vont bien au-delà de simples intérêts économiques et commerciaux. Mais la menace est bien réelle, « l’exception culturelle » restant un concept vague reposant à l’heure actuelle sur aucun corpus juridique dans la législation européenne.
Et au-delà de ces considérations, c’est l’essence même de la culture et de sa diversité qui est remise en question. Le TTIP fera un pas supplémentaire vers la massification de la culture, non pas au sens de l’élargissement de l’accès à la culture, mais au sens de l’industrialisation de la culture, soumise aux concepts de groupes industriels détenus par les mêmes financiers qui cherchent à affaiblir les politiques nationales via le mécanisme d’ISDS. Peu à peu, cette culture de masse prendra le pas sur les artistes indépendants, ces derniers peinant à survivre dans un monde où les « majors » dessinent les contours de la pensée culturelle. De facto, la culture engagée (notamment sur les champs sociaux) sera réduite à peau de chagrin et une forme de censure implicite sera mise en place. Il en résultera un appauvrissement de la pensée dans certains cercles et un recul de la vision humaniste, tuant dans l’œuf toute possibilité de contestation à l’ordre établi.